Au théâtre des Champs-Elysées, un "Rigoletto" de Verdi en opéra participatif, pari risqué et en partie réussi!

Marion Lebègue en comtesse Ceprano, entourée de ses courtisans C) Marion Kerno

Retour en live, et l'on en est très heureux, de l'excellente initiative du Théâtre des Champs-Elysées (avec d'autres opéras de province), cet opéra participatif à l'usage des plus jeunes, des classes essentiellement. Cette année, c'est Rigoletto de Verdi qui a été choisi, un pari risqué et en partie réussi. En partie seulement...

Ce sont les enfants qui font les choeurs

Rappelons de quoi il s'agit: présenter à un jeune public son premier opéra (la plupart du temps) sous une forme évidemment adaptée, et d'abord à sa capacité d'écoute: la représentation dure donc entre une heure et une heure et quart, elle est donnée en français quand les opéras sont étrangers. Ce sont là principes de base. Mais la meilleure idée, peut-être, est dans cette participation des jeunes à l'oeuvre elle-même. Ceux-ci sont formés dans leurs classes, dans leur école, donc en amont, soit par leur instituteur soit par leur professeur de musique, pour apprendre la partie chorale de l'opéra qu'à un geste du chef (celui-ci, quittant son orchestre des yeux, se retourne vers eux pendant que la salle se rallume) ils vont chanter de tous leurs poumons.

Jeanne Gérard (Gilda) C) Marion Kerno

Et ce sont de très jolis moments que ceux où, ce jour de la première de Rigoletto (on était en début d'après-midi, les classes, protocole sanitaire oblige, étaient séparées les unes des autres de sorte que le Théâtre des Champs-Elysées donnait le sentiment d'être encore plus rempli que les autres années), tous ces gamins -moyenne d'âge: 10 ans; s'échelonnant en fait de 8 ans à l'adolescence- entonnent, et dans le bon ordre, avec un enthousiasme qui fait plaisir, les airs pas toujours simples de Verdi qu'assument en général les choeurs professionnels!

En général des opéras qui finissent bien...

Après cela, il y a le choix de l'oeuvre. On ne sait plus quand a commencé cette initiative qui, évidemment, s'appuyait dans les premières années sur des opéras "joyeux" -ou, en tout cas, finissant bien: c'étaient Les noces de Figaro, La belle Hélène, Le barbier de Séville. L'an dernier ce fut le délicieux Elixir d'amour de Donizetti, malheureusement donné sans public mais que l'on pouvait acheter en DVD pour le chanter (avec un tuto) à la maison. Cela ne remplaçait pas, évidemment, la présence de ces classes, parfois un peu chahuteuses (mais pour la bonne cause), venant de Paris, de la banlieue, de l'Île-de-France, milieux mélangés, pas forcément bourgeois comme la rumeur publique pourrait le laisser croire...

Où est Rigoletto? C) Marion Kerno

... mais tout de même il y a eu Carmen!

On avait déjà vu une première tentative "sérieuse" et même plutôt sombre: Carmen. Mais l'histoire de Carmen est assez simple, finalement: une femme tombe amoureuse d'un homme, il quitte tout pour la suivre, elle se lasse de lui, il la tue! Rigoletto, c'est autre chose: une intrigue extraordinairement compliquée (qui vient à la base, et ce n'est pas étonnant, de Victor Hugo), avec substitution de personnage, enlèvement, tromperie, mascarade. Tant qu'à monter Verdi, Traviata eût été bien plus linéaire! Mais évidemment on ne va pas montrer à de si jeunes têtes le parcours, même tragique, d'une prostituée de haut vol...

Des comédiens jouent Rigoletto

Le metteur en scène italien, Manuel Renga, qui avait signé l'an dernier L'élixir d'amour, a bien eu conscience de la difficulté du défi. Mais il ne nous semble pas qu'il ait choisi la meilleure solution. Commençons par l'écrin: très beaux costumes, très jolis décors (de théâtre, avec rideaux, éléments de scène, bric-à-brac sorti des malles), belles lumières: c'est un plaisir pour l'oeil et cela compte pour donner aux enfants le goût de l'opéra qui est aussi, d'abord, un spectacle. Le principe de Renga est donc le théâtre dans le théâtre et, pour réduire la vraie noirceur de Rigoletto, de montrer une troupe allant de ville en ville présenter l'histoire du bouffon tragique qui se retrouvera, par un terrible quiproquo, à contempler à la fin le cadavre de sa propre fille, une mort dont il est partiellement responsable. Mais, selon la formule consacrée, puisqu'il s'agit de comédiens, tout n'est qu'illusion et les morts se relèvent à la fin pour venir saluer.

Encore les courtisans C) Marion Kerno

Avec les acrobates, trop d'agitation

Sauf qu'on l'avoue, on n'a pas compris grand-chose. On se disait même, avant, qu'il fallait des trésors d'ingéniosité aux professeurs pour expliquer l'intrigue de l'opéra à tous ces jeunes. Nous, on avait, bien sûr, vu déjà Rigoletto. Mais évidemment nous ne savions pas ce qui allait être coupé dans cette version réduite. Ainsi, plus ramassée, l'intrigue nous a paru encore plus confuse! Et la vraie fausse bonne idée de la mise en  scène (de notre humble point de vue) en rajoute puisque, pour réduire l'impact de ce sinistre drame, sont installés dans chaque scène des rôles muets, comédiens et acrobates, qui, à coups de sauts, de pirouettes, de roues et de grimaces, distraient l'attention et souvent polluent le regard. Ainsi dans le si émouvant duo de Rigoletto et de sa fille (installés, de plus, en fond de scène) on ne voit que la servante qui, au premier plan, essaie d'attirer en tous sens l'attention de sa maîtresse, courant sur la scène de long en large sans qu'on en comprenne le pourquoi.

Bon Rigoletto, le texte pas très compréhensible

Et d'ailleurs il n'est même pas sûr que ce théâtre dans le théâtre ait fait vraiment tilt auprès des enfants, qui pourront toujours se le faire expliquer ensuite. Il y a plus; et c'est dans le chant. Le Rigoletto d'Ivan Thirion est  impeccable, de voix, de présence, de caractérisation et surtout de diction. Ce n'est pas le cas de Diego Godoy en duc de Mantoue, dont il a les aigus mais qu'on ne comprend jamais vraiment. Jeanne Gérard en Gilda a un joli timbre, sans vraie personnalité, mais ses aigus sont de qualité et surtout elle met beaucoup d'émotion dans son personnage même si sa diction, à elle aussi, est perfectible. Bonne prestation de Marion Lebègue en Maddalena et de Nathanaël Tavernier dans le rôle du très méchant Sparafucile (littéralement en italien "Coup de fusil")

Rigoletto (Ivan Thirion) et à droite le duc de Mantoue (Diego Godoy) C) Marion Kerno

Des choristes qui s'applaudissent aussi

Belle prestation de Victor Jacob à la tête d'un excellent orchestre de chambre de Paris qui trouve les teintes sombres et puissantes de ce chef-d'oeuvre musical. Le chef a un peu de mal cependant à discipliner les chanteurs (décalages!) au milieu de toutes cette agitation, agitation qui se retrouve chez les apprentis choristes où, à plusieurs moments, des chuchotements se font entendre. Mais cela cesse quand Victor Jacob lève sa baguette vers eux. Et l'on doit reconnaître, malgré nos réserves, que le spectacle a été chaleureusement acclamé à la fin par tous ces jeunes et leurs accompagnateurs. Il est vrai qu'en applaudissant ainsi, ils s'applaudissaient un peu eux-mêmes.

Un Rigoletto, d'après Giuseppe Verdi, mise en scène de Manuel Renga, direction musicale de Victor Jacob. Au Théâtre des Champs-Elysées, Paris, jusqu'au 16 février.

ATTENTION: si la majeure partie des représentations est réservée à des classes qui se sont déjà inscrites, il y a deux représentations ouvertes à tous les publics, en particulier aux enfants qui viendraient en individuel avec leurs parents. Ces représentations auront lieu samedi 12 février à 16 heures et dimanche 13 février à 16 heures aussi.