J'y avais assisté l'an dernier (chronique du 16 février 2018), j'y suis retourné cette année: c'était à l'Opéra-Garnier il y a quelques jours un joli récital des artistes de l'Académie de l'Opéra . On parle évidemment ici des chanteurs, même si l'Académie s'ouvre aussi à des métiers de théâtre, le slogan de l'Académie étant "Transmission. Formation. Création"
Mozart, c'est difficile...
Et comme l'an dernier la soirée commençait par une ouverture de Mozart, celle du "Directeur de théâtre", l'orchestre de l'Opéra étant cette fois dirigé par Jean Deroyer. Comme c'est difficile, Mozart, même les oeuvres de jeunesse! Les cordes sont un peu dures, l'ouverture est d'un sérieux de pape, brutale, alors que "Le directeur de théâtre" est un opéra-bouffe. Pas un sourire, on se croirait dans "Don Giovanni"...
Considérons que c'était un tour de chauffe, cela ira bien mieux après, même si j'ai surtout écouté les chanteurs. Certains ont quitté l'Académie (mesdames Perbost et Petrovic, monsieur Mateos), il y a trois nouveaux.
C'est le joli ténorino polonais Maciej Kwasnikowski qui ouvre le bal: Mozart encore, "Un aura amorosa" de "Cosi fan Tutte" dont il avait chanté l'an dernier le trio masculin. C'est charmant, assez bien projeté mais timide, pas très concerné. Il faut les faire vivre, ces ténors mozartiens qui peuvent tourner au fade...
Un Rossini slave
Kwasnikowski reviendra ensuite avec le solide baryton ukrainien Danilo Matvienko dans le duo initial du "Barbier de Séville". C'est amusant de les entendre incarner des italiens extravertis mais après tout on pourrait être à Cracovie ou à Kharkov dont les mélomanes ont aussi droit à Rossini. Ils n'y mettent pas la furia italienne mais beaucoup d'élégance, Matvienko en Figaro digne et Kwasnikowski en Almaviva réservé.
On continue dans Mozart avec l'exquise Irlandaise Sarah Shine qui chante en allemand un très bel air de "Zaïde" (une oeuvre peu connue qui précède "L'enlèvement au sérail"): vois ravissante dans les aigus, à la Rita Streich, même si Shine doit encore améliorer son médium.
Des petits nouveaux
Une nouvelle puis un nouveau. La nouvelle est une charmante russe, Lioubov Medvedeva, qui s'attaque dans un très bon français et avec aplomb à "La fille du régiment" que Natalie Dessay (re)popularisa triomphalement il y a quelques années. Cela sonne comme du Offenbach avant l'heure, Medvedeva sait alléger sa voix, les aigus sont impeccables, on a envie de la réentendre.
Comme le Français Timothée Varon, brun ténébreux dont la voix profonde (il ferait un excellent Scarpia) se marie très bien au ténor Jean-François Marras dans le "Venti scudi" de l' "Elixir d'amour" (Donizetti encore) C'est le moment où Belcore convainc Nemorino d'entrer dans l'armée pour "vingt sous (venti scudi)". Les deux chanteurs, qui ont un air de ressemblance, réussissent ce duo qu'on entend rarement dans un récital. Mais c'est l'avantage de l'Académie qu'on peut tout y faire, puisqu'on y trouve tous les types de voix.
Troisième "nouveau", après l'entracte, l'Américain Alexander York, grand et blond. Non, il ne chante pas Don Giovanni mais l'autre amoureux de "Cosi fan tutte", Guglielmo: timbre de qualité, bien projeté, il incarne le rôle avec beaucoup de présence. On s'amuse déjà à l'imaginer lui aussi dans un des grands rôles du répertoire, comme Oneguine...
Le chant français, Bizet, Massenet...
Les anciens sont là. Ils ont progressé encore. Farah El Dibany, sur laquelle j'émettais quelques réserves, se tire plutôt bien de l'étrange air de "Djamileh" de Bizet, avec ses accents orientaux et ses changements de tonalité. Les graves sont encore sourds (la mezzo qu'elle est doit absolument les travailler), les aigus bien mieux, la projection meilleure. Sa voix se marie moins bien à Marras et Varon qui interviennent dans la deuxième partie de l'air, mais cela tient aussi peut-être à Bizet!
Florilège d'airs français avec l'inépuisable Massenet, le "Werther!... Ces lettres" que chante la Charlotte de Jeanne Ireland. On goûte l'excellent français de l'Américaine, son timbre a de la couleur mais surtout, dans cet air difficile où Charlotte se rend compte à distance de la détresse de Werther, elle rend tous les climats, la tristesse présente comme les joyeux souvenirs. C'est remarquable!
Les progrès de Boudeville
Très bien aussi le duo "Nuit d"hyménée" du "Roméo et Juliette" de Gounod, malgré des paroles parfois cucul la praline. C'est dans la lignée du duo des "Troyens" de Berlioz (entre Didon et Enée) et l'on retrouve Jean-François Marras (qui, en ce moment, dans "Les Troyens", tient un rôle quasi non-chantant!) composant un Roméo exalté, douloureux, amoureux, dans un registre un peu différent d'un Cyrille Dubois dont le timbre est plus léger. Celui de Marras a une intensité davantage "italienne". Angélique Boudeville, elle, est une excellente Juliette, elle a appris à contrôler sa voix, à la retenir, tout en gardant sa rondeur et sa puissance. Et si l'on pouvait se demander à quoi sert l'Académie, on en voit ainsi la preuve dans la progression de ces jeunes chanteurs.
De Manon à la Chauve-souris
On les retrouve tous ensemble à deux reprises. En fin de première partie dans l'acte du "Cours la Reine" du "Manon" de Massenet, visiblement le musicien préféré des programmateurs (il était déjà plusieurs fois à l'honneur l'an dernier) Matvienko y chante, là aussi avec beaucoup de présence et prouvant, dans un excellent français, qu'il est un baryton qui monte haut, l'air de Lescaut "A quoi bon l'économie" (il montre aussi, après avoir été brillant en Figaro, qu'il peut être sentimental) Et c'est Marianne Croux, de l'abattage, des aigus faciles, un peu de sophistication mais qui convient à Manon, qui s'acquitte de l'air célèbre "Je marche sur tous les chemins" ("Profitons bien de la jeunesse", cela va bien à tous) avec, là encore, interventions de Marras et Varon.
Les autres forment les choeurs. Le concert se termine par le final de l'acte II de "La chauve-souris" de Johann Strauss, oeuvre qu'ils chanteront intégralement en mars à la MC 93 de Bobigny (j'y serai) et qui les montre déjà avec un beau sens collectif. On note auprès d'eux le renfort choral de trois pianistes de l'Académie comme quoi chanter dépasse les frontières du chant!
Concert de gala de l'Académie de l'Opéra de Paris, solistes et orchestre de l'Opéra dirigés par Jean Deroyer, oeuvres de Mozart, Donizetti, Rossini, Massenet, Gounod, Bizet et Johann Strauss, Opéra-Garnier, Paris, le 16 janvier