Un bel enregistrement est paru il y a déjà quelques semaines de cette Petite messe solennelle, dernière oeuvre de Rossini, et qui n'est petite que par son caractère intime. Sandrine Piau illumine un quatuor de bons chanteurs.
De la sacrée musique
Est-ce bien de la musique sacrée que je viens de faire ou bien de la sacrée musique? (lettre du 3 avril 1861) Les deux, cher Gioacchino, mais tu le sais bien et tu es trop intelligent (roublard aussi peut-être un peu) pour que ta modestie ne soit légèrement feinte. Ta Petite messe solennelle n'est petite que par son caractère intime, les moyens que tu as voulu lui donner; mais déjà les dimensions qu'elle a prises, à commencer par sa longueur (un peu plus que le monumental Requiem de Verdi qui suivra une décennie plus tard), ne peuvent en faire une composition écrite en passant. Et puis le quatuor de solistes, le choeur, trois instruments (car elle est destinée au départ à un salon) avant que tu t'attaches (bien vu!) à l'orchestrer pour lui donner la résonance qu'elle mérite: Petite, cette messe?
Plus d'opéra mais...
On sait que Rossini posa la plume définitivement en 1829, à 37 ans, après son opéra Guillaume Tell. Définitivement? Comme compositeur d'opéra, simplement. L'Italien, qui pensait n'avoir plus rien à prouver dans ce domaine (il n'était pas Sibelius, qui arrêta, lui, par neurasthénie, commençant même à détruire ses oeuvres), continuait, en recevant dans son salon et en fréquentant les autres, à improviser, au piano et dans le domaine sacré, des travaux qu'il réunit sous le terme Péchés de ma vieillesse et qu'il se garda bien de publier. On a entendu parfois la partie pianistique de cette production (Rossini était un excellent pianiste), on préfère revenir au Barbier de Séville ou à la Cenerentola...
Un hommage à un ami
Ce n'est pas la même chose concernant les deux oeuvres sacrées qui, elles, sont de haut niveau: le Stabat Mater, de 1842, monumental. Et la Petite messe solennelle qui a une histoire curieuse. C'est au départ un simple Kyrie Eleison inspiré d'une Messe solennelle de Louis Niedermeyer, compositeur et ami de Rossini qui venait de mourir, et sans doute hommage à cet ami disparu. Mais voilà que ce Kyrie, avec son rythme scandé opposé à la pureté de l'écriture chorale (on imagine Rossini Tiens, c'est pas mal, ce que je viens d'écrire), justifie tout à coup de ne pas en rester là. Voici donc (on emprunte tout cela à l'excellent livret du spécialiste italien de Rossini, Davide Daolmi) que, sur le modèle des messes italiennes, Rossini ajoute un Gloria et un Credo, "courte" version d'une oeuvre qui dure tout de même, dans ce format, 3 bons quarts d'heure... et qui sont la dimension et les passages obligés des messes italiennes.
Messes italiennes et messes françaises
Voici alors qu'un banquier français, Alexis Pillet-Will, commande à Rossini quelque chose pour inaugurer son nouvel hôtel parisien. Pourquoi pas cette Messe? Sauf que les messes françaises sont plus longues, comptent plus de numéros, que les messes italiennes. Rossini ressort donc un Prélude à la manière de Bach, sans doute pour laisser respirer des chanteurs épuisés, puis compose des "numéros français", Sanctus, O Salutaris (confié à la soprano) et Agnus Dei (confié à la contralto, qui conclut l'oeuvre)
Au piano originel, et à l'harmonium, instrument très répandu dans les maisons bourgeoises parisiennes et qui "sonne" tel un orgue, donc religieusement, Rossini, découvrant les dimensions du salon où sa messe doit être créée (qui est davantage un hall de gare!), rajoute un second piano, double le choeur (de 8 à 16 voix) et... fatigué, estimant qu'il avait "fait le job", n'assiste pas à la création, le 14 mars 1864, à laquelle sont cependant présents le Tout-Paris et quelques collègues, Auber, Meyerbeer, Ambroise Thomas. Triomphe, critiques enthousiastes. On rejouera l'année suivante (le principe des salons: exécution unique) et Rossini, un peu poussé par l'idée qu'il venait d'écrire son dernier chef-d'oeuvre, s'attachera à son orchestration, qu'il achèvera mais qu'il n'aura jamais l'occasion d'entendre et donc de retravailler de auditu, étant mort entre-temps.
Retour au manuscrit autographe
La présente version (pour deux pianos et harmonium) a ceci de nouveau qu'elle est conforme et au manuscrit autographe et à l'exécution "Pillet-Will" authentifiés par la Fondation Rossini. Elle bénéficie en premier d'un excellent choeur italien, le Coro Ghislieri, pas très connu chez nous, plutôt spécialiste de la musique baroque italienne, de Vivaldi à Jommelli: faîtes écouter à des amis sans rien leur dire le Christe Eleison, ils auront le sentiment d'être dans une oeuvre de la fin du grégorien -et c'est aussi la richesse de Rossini de savoir se référer aux maîtres anciens tout en étant de son temps, par la puissance symphonique (même à trois instruments) et l'éclat glorieux typique du XIXe siècle (voir le Gloria et le Credo)
Une oeuvre dans sa glorieuse nudité
Le titre, en fait, résume bien l'esprit de cette messe, qui pourrait, vues les circonstances de son écriture, ressembler à un bric-à-brac, mais qui y échappe par ce mélange de solennité et d'intimité que Rossini alterne avec talent. Cette entrée merveilleuse et dynamique -morceau célèbre-, la nudité de certains airs (le ténor dans le Domine Deus, la basse dans le Quoniam, avec simple accompagnement d'un seul piano, à la manière d'une mélodie), la manière dont d'autres (le Et in terra pax) montent en puissance par l'entrée successive des solistes puis du choeur et l'intervention de l'harmonium. L'éclat (avec des bouffées de tendresse) donné aux différentes parties du Credo, avec, là encore, l'entrelacs des quatre voix solistes, à se demander si Verdi, pour son Requiem, n'a pas écouté son glorieux ainé...
L'harmonie complice des chanteurs
Sandrine Piau illumine de sa voix de cristal le Crucifixus (si poignante simplicité!) et le O Salutaris (plus opératique). Elle forme un beau duo avec Josè Maria Lo Monaco, la contralto, dans le Qui Tollis, souvenir lointain du Stabat Mater de Pergolèse. Une Lo Monaco dont l'Agnus Dei est empreinte d'une douleur discrète. Le ténor uruguayen Edgardo Rocha met un peu trop d'opéra (ou de Requiem de Verdi!) dans son Domine Deus, la basse chilienne Christian Senn manque un peu de graves dans son Quoniam tu solus Sanctus mais les quatuors qu'ils forment sont épatants.
Choristes élégants, impliqués, émouvants et nuancés, avec un peu de difficulté dans les aigus des femmes. Pianistes (Francesco Corti sur un Erard de 1838, Cristiano Gaudio sur un Pleyel de 1856) très concernés, qui, eux aussi, ont plutôt une formation baroque -même si Corti a un peu de mal à nous passionner jusqu'au bout pour le longuet Prélude bachien. Le joueur d'harmonium, Deniel Perer est sans reproche et le chef, Giulio Prandi, met à l'oeuvre toutes les promesses contenues dans le titre: c'est (ravissamment) petit, souvent solennel. Et surtout très beau.
Petite messe solennelle de Gioacchino Rossini. Sandrine Piau (soprano), Josè Maria Lo Monaco (contralto), Edgardo Rocha (ténor), Christian Senn (basse), Francesco Corti et Cristiano Gaudio (pianos), Deniel Perer (harmonium de 1890), Coro Ghislieri, direction Giulio Prandi. Un Cd ARCANA