Au TCE un délicieux "Elixir d'amour" de Donizetti en "opéra participatif" mais pas seulement pour les enfants

Les "amoureux" (ils le deviendront!): Sahy Ratia (Nemorino) et Norma Nahoun (Adina) C) Vincent Pontet

Depuis plusieurs années le théâtre des Champs-Elysées à Paris propose à cette période, en association avec d'autres théâtres (cette année celui de Rouen) un opéra participatif à l'usage des tout jeunes (moyenne: huit à douze ans). Cette année bien sûr, le COVID est passé par-là. Personne donc dans la salle, pour assister au délicieux Elixir d'amour de Donizetti, mais une captation qui, relayé par le site Lumni de France Télévisions, permet de se régaler en famille, choeurs compris, que chacun peut apprendre.

Les joyeux airs de Donizetti

Cette année, c'était donc l' Elixir d'amour, le plus joyeux des opéras de Donizetti. Après l'an dernier Les noces de Figaro, et encore avant Carmen, La belle Hélène, Le barbier de Séville, La flûte enchantée, on en oublie. Et deux mille (quasi) enfants réunis dans la salle du Théâtre des Champs-Elysées, venus de toute l'Île-de-France, chantant à pleins poumons les choeurs de l'opéra qu'ils ont appris en classe pendant plusieurs semaines au signal donné par le ou la chef. Mais en 2021 ils resteront chez eux, à assister en famille à ce très joli spectacle et en ayant peut-être enseigné eux-mêmes à leurs parents les joyeux airs de Donizetti et du gentil Nemorino, amoureux de la hautaine Adina, qui, après avoir bu une mystérieuse boisson et quelques autres péripéties, finira par conquérir le coeur de sa belle... Quant à nous, assez seuls dans ce grand théâtre, nous avons retrouvé notre âme de CM2 devant la jolie mise en scène de l'Italien Manuel Renga.

Thibault de Damas (Dulcamara) a des arguments pour convaincre Sahy Ratia (Nemorino) C) Vincent Pontet

L'élixir qui fait tomber toutes les filles

Loin de celle de Laurent Pelly, qui triomphe régulièrement à l'opéra de Paris, située qu'elle est dans la campagne italienne des années 50, celle-ci remonte encore le temps, à l'époque mussolinienne qui n'est évoquée cependant (heureusement!) que par les costumes de soldats un peu bouffons (des palmiers dans leurs chapeaux militaires puisque l'obsession de l'Italie de ce temps-là était d'aller conquérir un bout d'Afrique) autour du sergent Belcore (Joli coeur en italien) au charme duquel Adina, dans un premier temps, est loin d'être insensible.

Et c'est parce qu'un charlatan, Dulcamara, passe de village en village en proposant un "élixir d'amour" qui fait tomber toutes les filles que le pauvre Nemorino va le boire, le reboire, le rereboire, jusqu'à détacher Adina de Belcore mais, évidemment, vous vous en doutiez même si vous ne connaissez pas l'oeuvre, pour de tout autres raisons.

Dans une usine d'embouteillage, n'est-ce pas normal qu'il y ait des girls? (Sara Gouzy, Natalie Pérez, Dima Bawad, Norma Nahoun) C) Vincent Pontet

Une usine d'embouteillages inspirée de Charlot

L'intrigue se situe donc dans une usine d'embouteillages (très joli décor signé Aurelio Colombo, avec bielles, tapis roulants et roues tournantes, inspiré au metteur en scène par les Temps modernes de Charlie Chaplin) où l'on fabrique un infâme Sciroppo per la tosse (Sirop pour la toux), si mauvais que l'usine est quasi en faillite, à moins que l'élixir d'amour (ou un délicieux sirop pour enfants, allez savoir) ne la remette sur pied, c'est tout cas ce que l'on espère à la fin quand tout ce petit monde est désormais heureux, ouvriers et demoiselles comptables compris (Sara Gouzy, Natalie Pérez et Dima Bawad sont de charmantes secrétaires, en tenues plus 1930 que nature, et prête à danser le charleston pour séduire à leur tour le premier soldat qui passe)

Voici l'arrivée de Belcore (Jean-Christophe Lanièce) et de ses soldats devant les ouvrières C) Vincent Pontet

Et l'adaptation du livret par le Français Henri Tresbel est très bien faite, distillant aux chères têtes blondes et brunes toute la saveur de l'histoire et des airs originaux dont le fameux Una furtiva lacrima (Une larme furtive) qui est un "tube" pour tous les ténors.

De jeunes chanteurs de qualité

On découvrira aussi dans cette production de jeunes chanteurs dont, en Nemorino, Sahy Ratia, voix bien placée, chant bien projeté, beaux aigus. Il pourra encore arrondir le timbre, donner de la souplesse à la ligne vocale; et, s'il est un peu pataud en Nemorino benêt (trop de gestes, trop de mimiques), il s'améliore quand Nemorino est plus sûr de lui et surtout, surtout, il réussit son Una furtiva lacrima, tout en demi-teintes, sans surcharge et plein d'émotion. Jolie danse aussi (qui demande des talents d'acrobatie!) sur le tapis roulant de l'usine...

L'air "Una furtiva lacrima" chanté par un Sahy Ratia (Nemorino) suspendu C) Vincent Pontet

L'Adina de Norma Nahoun est vocalement impeccable, timbre ravissant, virtuosité, égalité de la tessiture. On n'aura qu'un petit reproche à lui faire: son Adina, plutôt bonne fille (un peu trop), manque de la perversité de coquette qui fait tourner en bourrique le pauvre Nemorino. Belle et bonne prestation du Belcore de Jean-Christophe Lanièce et si Thibault de Damas tient son personnage de Dulcamara, on lui reprochera une diction peu compréhensible, d'autant plus fâcheuse vu le public visé.

On retrouve avec joie l'excellent orchestre des Frivolités parisiennes, entendu récemment dans Le diable à Paris (chronique du 14 janvier), et l'on découvre un jeune chef franco-bolivien plein de fougue et d'engagement, Marc Leroy-Calatayud, actuel assistant de Marc Minkowski à l'Opéra de Bordeaux: c'est lui qui s'y colle aussi, en se retournant vers le public virtuel, et donc dos à ses musiciens, pour donner le tempo et les paroles aux jeunes qui sont derrière leur écran.

Et tout finit par des applaudissements (virtuels) C) Vincent Pontet

Revoir cet "Elixir" en vrai?

Il le fait avec le grand sourire qui signe cette jolie et joyeuse production à laquelle (une paille!) on ne fera qu'un reproche: encombrer l'histoire d'une introduction qu'on ne comprend guère, d'autant qu'elle s'articule mal (et même pas du tout) avec l'intrigue de Donizetti. Pour le reste, on ne souhaite qu'une chose: revoir cet Un élixir d'amour (Une fabrique à idées d'après Donizetti) pas seulement sur l'écran mais en vrai, car c'est tellement mieux d'avoir autour et derrière soi un véritable public. Tous les chanteurs, tous les acteurs, tous les musiciens, vous le diront.

Un élixir d'amour, "opéra participatif" d'après l'oeuvre de Donizetti, soli, orchestre des Frivolités parisiennes, direction Marc Leroy-Calatayud, mise en scène de Manuel Renga, coproduction du théâtre des Deux-Rives à Rouen et du Théâtre des Champs-Elysées à Paris.

A partir de mercredi 7 avril, DVD (pour 8 euros) et VOD (à 5 euros) disponibles sur le site du théâtre www.theatrechampselysees.com. Le tutoriel (pour apprendre les choeurs en famille) est disponible, lui, gratuitement, sur le site Lumni.fr de France Télévisions.