La Folle Journée de Nantes, Bartok et Henri Demarquette

C) Marc Roger

La Folle Journée de Nantes, cette année sur le thème de l'exil, aborde ses deux derniers jours. Avec nos Français, la violoniste Fanny Clamagirand, le violoncelliste Henri Demarquette

 

Sara mange son goûter

Sara est blonde, elle porte dans les cheveux un chouchou rose, un serre-tête doré, très intimidée d'être là. Sa maman lui donne son goûter, un yaourt à la fraise, et un fruit bizarre, une datte. Elle n'a pas l'air d'aimer ça. Elle a raison, moi non plus je n'aime pas les dattes.

(Et intérieurement, je la plains)

Sara, ayant repris des forces, sera exemplairement sage pendant que la violoniste joue. La violoniste, c'est Fanny Clamagirand, qui entre avec un air grave, accompagnée du plus doux David Bismuth. Ils vont très bien interpréter le "Divertimento" néo-classique et un peu long de Stravinsky (1934) Il y a du goût et de la précision, de l' assurance et le sens du rebond. Clamagirand est encore plus à son affaire dans les oeuvres de Bartok (les "Danses roumaines" où elle a le style que n'avait pas Favier l'autre jour) et d'Enesco (la "Sonate dans le caractère populaire roumain" chère à Yehudi Menuhin et qui est une oeuvre très émouvante).

Demarquette à l'oeuvre C) Marc Roger

Demarquette à l'oeuvre C) Marc Roger

Une violoniste très sérieuse

Chez Bartok, Clamagirand se joue des problèmes techniques, dans Enesco passent fort bien tous les fantômes tziganes de l'oeuvre. Et Bismuth l'accompagne avec attention. Je voulais entendre la sérieuse Clamagirand depuis longtemps, il faudra la suivre.

Une dame à côté de moi révise 75 fois le programme du soir. Son mari ne répond pas.

Sara est ravie et sourit à papa et maman (qui s'étaient un peu disputés pour des histoires de grandes personnes...). Et papa et maman sont si ravis que Sara soit ravie qu'ils n'ont pas vu que Sara a déposé la datte par terre.

Un Allemand qui a de l'humour

C'était samedi. Dimanche soir Sara préparait sans doute son petit cartable pendant qu'Henri Demarquette, dans une toute petite salle, jouait du gros violoncelle. Demarquette, lui le souvent réservé dans les grands espaces! Comme il nous le dit, heureux de cette proximité avec nous, pour un compositeur qu'il aime, l'Allemand Paul Hindemith, ce n'est pas si fréquent, il vante même son sens de l'humour. Il est vrai qu' Hindemith a écrit aussi l' "Ouverture du "Vaisseau Fantôme" de Wagner comme exécutée par un mauvais orchestre de station thermale à 7 heures du matin à la Fontaine du village"...

La "Sonate pour violoncelle seul" est concise, élégante, sévère et de belle tenue. Et Demarquette la défend à la mesure de son admiration. Il nous annonce ensuite qu'il va s'absenter pour réaccorder son instrument "en si mineur" si l'on a compris. "Pour jouer ce monument de notre répertoire de violoncelle, oh! qui n'est pas bien grand, rassurez-vous: la sonate de Kodaly". Kodaly, l'ami de Bartok, "l'a écrite en exil, enfin  c'était en Suisse". En 1915, où il a peut-être rencontré Stravinsky.

Demarquette est déchaîné

C'est une sonate tellurique et grondante, qui serait le pendant de la spectaculaire sonate pour piano en si mineur de Liszt. D'où la tonalité. Demarquette est déchaîné, nous sort un son profond et puissant, avec des descentes et des montées fulgurantes, des pizzicati redoutables. Triomphe. Une dame, émue: "Je ne félicite jamais personne. Là, il faut que j'aille lui dire mon admiration". Mais il est déjà parti, appelé pour la soirée de gala retransmise par Arte. Où il interprétera "Le chant des oiseaux" de ce grand démocrate de Pablo Casals, qui refusait de jouer dans son Espagne natale sous Franco, quand d'autres démocrates étaient moins regardants...

Sara dort, son chouchou rose sous l'oreiller

Fanny Clamagirand, violon, David Bismuth, piano: Bartok, Enesco, Stravinsky

Henri Demarquette, violoncelle: sonates de Kodaly et Hindemith.