Le Jobbik, premier parti chez les jeunes hongrois

Le café de l'université Eötvös de Budapest, le 20 mai 2014.

Alors que je demande à ma traductrice-accompagnatrice dans quel genre de quartier se trouve le meeting auquel on se rend, elle me glisse : "Tu sais, à Budapest, les arrondissements qui votent le plus Jobbik, ce sont les quartiers les plus jeunes et branchés." Selon une étude publiée en 2013, 33% des étudiants sont électeurs ou sympathisants du parti ultranationaliste, antisémite, et anti-Roms. Du coup, j'ai été me balader du côté de l'université Eötvös, la faculté des lettres et des sciences politiques, à leur recherche.

Des radicaux "aux très bonnes idées"

Dans le jardin du campus, un grand brun travaille à l'ombre d'un immense arbre, un ordinateur sur les genoux, une bouteille de lait à demi-entamée à portée de main. Balázs, 35 ans, est prof de physique, et sympathisant du Fidesz, les conservateurs au pouvoir. "Mais, ils atteignent 60%, ça fait beaucoup", m'explique mon interlocuteur, qui veut "voter pour un petit parti, histoire de rééquilibrer". Le Jobbik ? "Ils ont de très bonnes idées", réplique Balázs, qui ajoute immédiatement: "Mais ils sont un peu trop radicaux." 

"Ils essayent de protéger nos familles, nos valeurs, nos intérêts", détaille-t-il. Et "c'est vrai qu'on a de gros problèmes de minorités, et ils sont les seuls à dire la vérité sur ce sujet." Ce qui ne l'empêche pas d'hésiter, étant donné la réputation sulfureuse du parti, "surtout il y a quelques années". "Il me faudrait un dé pour savoir pour qui voter", rigole le trentenaire.

Qu'ils révisent nerveusement en tailleur sur un banc ou discutent par petites grappes dans la cour, beaucoup se trouvent des points communs avec le Jobbik. A part ce sympathisant des Verts, qui "ne voterait jamais pour eux même s'(il) devait être pendu pour ça !", le parti classé à l'extrême droite ne les effraie pas. Même Gergö, étudiant en langues slaves de 23 ans et proche de la coalition démocratique - ce qui se fait de plus à gauche sur l'échiquier politique hongrois -, est favorable à plusieurs propositions du Jobbik. Dont davantage de sévérité pour les récidivistes, et le durcissement des conditions d'accès aux aides sociales.

"Pour une alliance avec les pays des Carpates"

Andràs (G) et Balàzs dans la cour de l'université Eötvös de Budapest, le 20 mai 2014.

Andràs (G) et Balàzs dans la cour de l'université Eötvös de Budapest, le 20 mai 2014.

Des électeurs assumés du Jobbik, j'en ai rencontré trois ce mardi-là. Un qui "ne suit pas trop la politique". Mais qui, "n'ayant aucune confiance ni en la gauche ni en la droite - les deux ont échoué depuis la chute de l'Union soviétique - ", a voté pour les ultranationalistes aux municipales. Et qui est trop stressé par son examen "dans 10 minutes" pour m'expliquer son choix plus en détail.

Mais aussi András et Balázs, 24 ans, installés sous un des parasols orange fluo du café de la fac, sponsorisé par une marque de liqueur à la mode. Tous deux sont électeurs du Jobbik depuis qu'ils votent. "Je suis pour plus d'indépendance, et une alliance plutôt à l'Est", affirme le premier, enfoncé dans sa chaise, bras croisés sur un empilement de tee-shirt, chemise, et veste noirs. "Les marchés russes et de l'Est sont sous-exploités par rapport à leurs immenses possibilités", abonde son camarade, futur instituteur, qui plaide pour "une alliance des pays des Carpates" plutôt qu'une appartenance à l'Union européenne.

"Les seuls à vraiment vouloir le retour de l'ordre"

L'autre thématique fondatrice des convictions des deux étudiants, "c'est la sécurité". "Il n'y a qu'eux qui soutiennent vraiment le retour à l'ordre", estime András, étudiant en sciences politiques, qui veut des lois beaucoup plus sévères. Balázs fume cigarette sur cigarette, et les tapote régulièrement sur un cendrier bancal qui cliquette contre la table. Il fustige une Union européenne "trop libérale, et qui met trop en avant les valeurs humanistes""Je n'ai rien contre l'humanisme, mais là, ça devient déraisonnable", précise le jeune homme, en fronçant d'épais sourcils sous une mèche bien peignée. "Les droits de l'homme, c'est toujours en contrepartie d'une obligation." Et puis, "cet éloignement des traditions chrétiennes" ne lui plaît pas.

Oui, il y a des racistes et des extrémistes au sein du Jobbik, chez les électeurs comme parmi les responsables, reconnaissent les étudiants. "Mais on n'est pas radicaux." Sauf si on entend radical dans le sens de "réclamer des changements radicaux, là, on est d'accord", reprend András. D'ailleurs, il ne votera pas pour les européennes, il trouve la tête de liste Jobbik "stupide et sans réelles convictions fortes".

Quant à l'antisémitisme, "c'est juste que c'est plus simple d'avoir un bouc-émissaire", estime Balázs, qui relativise d'une moue dubitative. "C'est un parti protestataire basé sur le fait que tous les partis sont les mêmes, sauf eux", rappelle le premier, ravi de voir le parti progresser lentement mais sûrement dans l'opinion. "En tous cas, très peu de gens du Jobbik ont participé aux différents régimes depuis 50 ans", abonde le second. Alors, "il faut leur donner leur chance".

 

Publié par Souriez vous êtes soignés / Catégories : Hongrie