A Tiszavasvári, la ségrégation des Roms "ne date pas" du Jobbik

Une rue du quartier rom valak à Tiszavasvári (Hongrie), le 19 mai 2014.

Le blog Trans'Europe Extrêmes se rend pendant la campagne des élections européennes dans cinq pays où la droite populiste et eurosceptique est en plein essor. Après la Finlande, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie, direction la Hongrie.

Ils avaient annoncé qu'ils emploieraient la "manière forte", quitte à "stériliser les femmes Roms déjà mères de trois enfants". En octobre 2010, la mairie de Tiszavasvári, 12 000 habitants dont 3 000 Roms, perdue au milieu d'une campagne verdoyante au Nord-Est de la Hongrie, est remportée par le Jobbik. La ville devient la plus grande municipalité hongroise sous administration de ce parti ultranationaliste, antisémite et anti-Roms. Depuis, "ça n'a rien changé", déplore György, un électeur déçu, qui papote à la sortie du guichet de la loterie.

"Ces animaux sont toujours là"

Les habitants des deux quartiers roms, un pour les Valak (Roumains), un pour les Romunglo (Hongrois), de part et d'autres du bourg n'ont pas été expulsés. Ni leurs maisons rasées, comme promis par Erik Fülöp, alors le candidat. "Toute la ville pensait que le maire allait faire quelque chose, mais non, ce sous-peuple, ces gens qui vivent comme des animaux sont toujours là", chuchote le retraité en jogging, ancien responsable des activités sportives de la ville.

"On a toujours été mis de côté, la ségrégation des enfants à l'école ne date pas du Jobbik", raconte Anna, responsable d'une association rom, qui s'attendait presque à pire avec l'arrivée du parti à la mairie. La ronde et souriante trentenaire, avec ses lunettes de soleil à strass, se souvient d'une période où, bien que scolarisés dans le même bâtiment que les autres, les enfants roms étaient servis à part à la cantine, et ne pouvaient accéder à la salle de sport. "Aujourd'hui il y a deux écoles, ça change pas grand chose", explique-t-elle, désabusée.

"Roms et non-Roms travaillaient ensemble"

Dans son enfance, "tout le monde s'entendait bien", "Roms et non-Roms travaillaient ensemble", notamment à l'usine chimique Alkaloida. Privatisée dans les années 90, la production du principal employeur local a progressivement été transférée en Pologne jusqu'à l'annonce de sa fermeture en janvier dernier.

Evitant la flaque formée dans une ornière d'une des deux "rues" non goudronnées du quartier valak, le long desquelles s'alignent des petites maisons sans eau courante ni électricité, Anna liste les petites exclusions du quotidien qu'elle et sa communauté subissent. "La mairie oublie très facilement les enfants roms à chaque fête" -comme la Saint Nicolas-, "on n'a pas le droit d'utiliser les salles communales pour nos évènements, ou bien ils réclament un prix de location prohibitif", détaille-t-elle. Les jeunes ne sont pas les bienvenus à la bibliothèque et "de toute façon, ils sont contrôlés dès qu'ils s'approchent du centre-ville".

"Il y a aussi les policiers qui débarquent à une heure du matin, sirène hurlantes sous nos fenêtres en gueulant des insultes", ajoute Tamás, 24 ans qui note que "c'est devenu quotidien" depuis l'arrivée du Jobbik. Seul de sa communauté à avoir obtenu le baccalauréat, il voulait lui-même intégrer les forces de l'ordre mais… Le jeune homme, muscles moulés dans un t-shirt à manches courtes laisse sa phrase en suspens, grands yeux bleus dans le vague. La discrimination qu'il a subie lui paraît évidente.

"Maintenant c'est l'oppression"

Otto, dans son quartier à Tiszavasvári, le 19 mai 2014.

Otto, dans son quartier à Tiszavasvári, le 19 mai 2014.

"C'est pas de notre faute s'il n'y a plus de travail", intervient confie Otto, 65 ans, qui s'approche en poussant sa vieille mobylette. "Avant le changement de régime on a tout fait, tout accepté comme boulot", explique celui qui a fabriqué des cuillères, construit des maisons, travaillé dans l'usine chimique, dans une usine de briques puis une de tuyaux. "C'était un plaisir d'aller travailler. Maintenant, c'est l'oppression", poursuit-il.

Depuis son élection, l'édile Jobbik a déplacé la distribution de l'aide sociale aux Roms hors de la mairie. Elle s'effectue dans un guichet qui leur est réservé à l'autre bout de la ville. Conformément à ce qu'il réclame depuis toujours, le parti a ressuscité en avril 2011 la gendarmerie, cette "police des champs" à chapeau à plume qui faisait régner l'ordre à la dure dans les années 1930 et complice de la déportation de quelque 400 000 juifs en quelques mois de 1944.

"Il ne nous reste que les vieux et les Roms"

Déclarée contraire à la loi sur les forces de l'ordre par le procureur quelques mois plus tard, la "Tiszavasvári Csendőrség" a vu ses pouvoirs restreints et a du abandonner les symboles du passé. "Pourtant quand elle existait, il y avait moins de vols", regrette György, dégouté qu'on "ne laisse pas faire les élus Jobbik". "On ne peut pas y toucher à cause de l'Union européenne", abonde Mihaily, épaules rentrées dans son polo rayé, qui, dans son indignation, laisse apparaître un ilot de dents esseulé sur sa gencive du bas.

"Ça arrange le gouvernement Fidesz qui garde ces rats pour acheter leur vote", renchérit encore l'ancien sportif, barbe blanche de trois jours qui perce à travers ses joues rosies par l'alcool. "Je dis des choses que je n'aurai jamais dites avant", s'excuse-t-il, "désespéré de voir les jeunes éduqués quitter la ville." "Il ne nous reste que les vieux et les Roms", résume son copain.

"Tout est fait pour éviter que l'on sorte"

A quatre mois des élections municipales, le Jobbik, qui a frôlé la scission et dû affronter des municipales partielles après un désaccord sur la ligne à tenir, a décidé de lancer "un grand plan Roms". Dans la première phase, le parti a organisé un grand nettoyage du quartier valak. "Maintenant, celui qui jette une ordure dehors se voit retirer les aides sociales", raconte Anna qui redoute surtout un "prétexte pour confisquer leurs derniers revenus" aux familles.

Les étapes suivantes sont tenues secrètes et le maire et ses adjoints refusent toute sollicitation médiatique. Devant le centre communautaire financé par l'Union européenne, une large maison aux parpaings apparents à l'entrée du quartier, Anna soupire: "Même ça, ça vient à nous, tout est fait pour éviter que l'on sorte d'ici."

 

Publié par Souriez vous êtes soignés / Catégories : Hongrie