Avant toute chose, posons le postulat des fâcheux ! Analyser, disséquer, interpréter les données sondagières qui se rapportent à un dirigeant politique ou à un parti, c'est forcément faire l'éloge inconditionnel ou la critique intransigeante, selon les chiffres, du dirigeant ou du parti en question. Noter que les taux sont bons pour les intéressés, vous classe dans la catégorie des fans énamourés, dire qu'ils le sont moins, vous range dans celle des indécrottables détracteurs.
Cela posé, on peut maintenant se pencher en toute quiétude sur la batterie d'enquêtes d'opinion qui concerne la situation politique en cette fin d'année, en France. A l'approche des voeux présidentiels pour 2018, il n'est pas inintéressant d'examiner la position dans laquelle se trouve Emmanuel Macron, huit mois après sa victoire électorale. Son parcours sondagier ressemble-t-il à celui de ses deux prédécesseurs ? Est-il différent ? Comment peut-on comprendre les analogies ou les divergences ?
Selon l'Ifop, Nicolas Sarkozy et François Hollande étaient sensiblement au même niveau de popularité que lui au moment d'entrer à l'Elysée, au-dessus de 60%. Le président "de droite et de gauche" était à 62%, celui de droite à 65% et celui de gauche à 61%. Si Sarkozy a accru son stock de bonnes opinions entre mai et août, en revanche, Hollande et Macron ont enregistré le phénomène inverse sur la même période. Et pour ce dernier, le décrochage a été brutal puisqu'il a perdu plus de 20 points pour tomber à 40% alors que son prédécesseur direct était encore à 53% en août.
Après le trou de l'été, inversion de tendance en septembre
Il était donc normal que ses opposants, de droite et de gauche, aient vite considéré à la rentrée que "l'illusion Macron" avait vécu ce que vivent les roses, que le retour sur Terre était implacable, que "l'amateurisme" était aux commandes du pays et qu'on allait voir ce qu'on allait voir ! Vu comme le premier opposant au chef de l'Etat, Jean-Luc Mélenchon a pensé que cette phase politique dépressive pour le pouvoir lui permettait de mettre le paquet. D'autant que les ordonnances sur le code du travail arrivaient sur le tapis. "La France insoumise" prit les rennes de la contestation politique et sociale...
Erreur stratégique par la mise à l'écart des syndicats ? Erreur d'interprétation de la situation politique ? Erreur d'analyse de l'évolution de l'opinion qui s'était traduite à travers l'élection présidentielle ? Qui sait quelle erreur est la bonne. Les trois peut-être. Toujours est-il que Mélenchon n'a pas été seul à les faire. Nombre d'analystes ou de commentateurs ont pensé, comme lui, que la "phase de béatitude" était terminée et que l'exécutif allait flancher. Que certains épisodes des quinquennats précédents allaient se reproduire. Las, "La France insoumise" n'a pas enflammé la France et son chef de file a fini par reconnaître que Macron avait "marqué le point".
Ce constat de Mélenchon est d'autant plus important que son mouvement apparaît, incontestablement et au-delà même de son projet de société situé à gauche de la gauche, comme la seule force politique solide et soudée jusqu'ici dans son opposition à Macron. A gauche, le PS, privé de "patron" ou de "patronne" jusqu'à son prochain congrès, est devenu quasiment inexistant sur la scène politique. A droite, le parti "Les Républicains" est en voie de parcellisation perpétuelle et l'arrivée de Laurent Wauquiez à sa tête n'enraye pas ce processus. Au contraire. A l'extrême droite, le Front national, qui reste malgré tout à un haut niveau d'intentions de vote, est inaudible avec une présidente affaiblie.
C'est dans ce contexte que Macron a enregistré une inversion de tendance, en septembre, d'après l'Ifop : sa popularité est repartie à la hausse à 45% (+ 5 points), déjouant les pronostics de tous ses opposants. Il est vrai qu'en septembre 2007 et 2012, la popularité de Sarkozy et de Hollande avaient décroché, se situant respectivement à 61% (- 8 points) et à 43% (- 11 points), annonçant une tendance baissière continue. Le phénomène inverse s'est produit pour l'actuel locataire de l'Elysée puisqu'en décembre il est redevenu majoritaire dans l'opinion avec un taux de satisfaction de 52%.
L'opinion lui sait gré d'appliquer ce qu'il avait prévu
Et l'Ifop n'est pas le seul institut à constater ce retournement de situation. Si TNS-Sofres lui donne toujours une cote négative - 42% (+ 4 points) de popularité contre 54% -, en décembre, tout comme Elabe - 40% (+ 2) contre 54%, en revanche, Odoxa et BVA situent la popularité du chef de l'Etat au même niveau que l'Ifop, c'est-à-dire au-dessus de 50%. Les dates de terrain peuvent expliquer les différences de hausse car les enquêtes de TNS et d'Elabe ont été réalisées avant les mouvements de "communion nationale" qui ont accompagné la disparition de l'académicien Jean d'Ormesson et surtout celle du chanteur Johnny Hallyday. Dans les deux cas, Macron a délivré un discours qui a été reçu positivement par l'opinion.
Si, comme on peut s'y attendre, sa cote est à son maximum (96%) chez les sympathisants de "La République en marche", pour Elabe, elle atteint aussi un haut niveau chez "Les Républicains" (63%) - ce qui, au passage, met en évidence le défi auquel est confronté Wauquiez - et elle n'est pas ridicule chez les sympathisants de gauche (41%). Sans compter qu'un quart des sympathisants FN est "satisfait" de lui. En réponse, les adversaires de Macron mettent ces chiffres uniquement au crédit de sa communication, ce qui ne cadre pas vraiment avec la perception de l'opinion. Celle-ci se déclare satisfaite de sa politique européenne et internationale à 61%, sur l'éducation, il obtient 57%, et sur la sécurité, 55%. Et même s'il gagne 8 points sur les questions économiques et sociales, il y reste malgré tout minoritaire à 43%.
C'est doute la campagne conduite contre lui sur le thème du "président des riches" qui porte, ici, ses fruits. Elabe note, en effet, que l'opinion considère, très majoritairement, qu'il n'est "pas humble" (72%), qu'il est donc le "président des riches" (67%) et qu'il n'est "pas proche des gens" (62%). Pour autant, ces appréciations négatives ne jettent pas à bas la perception positive qu'il inspire aux Français : "dynamique" (78%), "sait où il va" (63%), "incarne le renouveau" (61%), "compétent" (59%) et "sympathique" (58%). Curieusement, l'opinion est capable d'adhérer à un reproche majeur répété en boucle par les oppositions, tout en considérant que le président applique ce qu'il avait prévu et qu'il est sur le "bon chemin". Elle lui en sait gré. Comme si Macron avait trouvé la pierre philosophale.