"Mélenchon l'insoumis", premier opposant au creux de la vague

De droite à gauche : Jean-Luc Mélenchon, Danièle Obono, Alexis Corbière et Éric Coquerel (MARTIN BUREAU / AFP)

Jean-Luc Mélenchon l'affirme, il n'a pas le spleen, le blues ou le bourdon. Au choix ! Le patron de La France insoumise (LFI) est toujours droit dans ses bottes face aux vicissitudes de la vie politique. Même s'il paraît plus fataliste et moins allant qu'à l'été et à la rentrée. Il avait alors repris du poil de la bête après le passage à vide de la présidentielle. Arrivé en 4e position au premier tour, il avait ressenti son élimination précoce comme un coup de massue, persuadé qu'il était de figurer au second.

Il avait fini par se remettre en selle aux législatives, en parvenant à constituer un groupe indépendant, fort de 17 députés. L'indépendance était son objectif. Sa hantise était, en effet, d'avoir à constituer un groupe parlementaire mixte avec les communistes car LFI et le PCF cheminent désormais séparément, en s'envoyant à intervalles irréguliers des brassées d'aigres amabilités. Avec plus de 15 élus, il pouvait donc poursuivre sa route. Seul.

La séquence politique était alors d'autant plus favorable pour Mélenchon que le Front national (FN) - Marine Le Pen était été face à Emmanuel Macron au second tour présidentiel - était sorti essoré aux législatives. Celle qui se présentait alors comme la première opposante au nouveau chef de l'Etat se retrouvait à la tête d'une poignée de députés d'extrême droite, contrainte de siéger parmi les "non inscrits" car incapable de constituer un groupe parlementaire (il en faut 15 au minimum).

La mécanique a commencé à s'enrayer à la rentrée

Sans coup férir, la chef de file de LFI avait damé le pion à la présidente du FN, lui chipant le titre convoité d'opposant le plus bruyant. Et, espérait-il, le plus efficace. Ses collègues insoumis et lui-même faisaient alors flèche de tout bois sur les bancs du palais Bourbon. Il fallait assurer le spectacle lors des séances télévisées des questions au gouvernement à l'Assemblée et entretenir la flamme de la contestation politico-syndicale jusqu'à la rentrée : l'opposition radicale aux ordonnances sur le code du travail était en ligne de mire.

Et c'est à la rentrée, précisément, que la mécanique a commencé à s'enrayer. Emporté par sa fougue ou par son désir de revanche, Mélenchon a laissé sa nature reprendre le dessus. Sans prendre de gants, il s'est auto-désigné "Commandante" de la contestation sociale, un rôle qui, assurément, ne pouvait pas plaire aux syndicats et principalement à la CGT et à FO, organisation composite au sein de laquelle Jean-Claude Mailly, son secrétaire général, devait déjà affronter d'importants remous internes sur ces fameuses ordonnances.

Sourd aux mises en garde syndicales et dans le déni au regard d'une mobilisation qui n'était pas à la hauteur des espérances - il faut noter, sur ce plan, que le député François Ruffin (LFI, Somme) avait été le plus clairvoyant, en faisant part de sa circonspection -, Mélenchon a poussé le bouchon encore plus loin. Non seulement il a appelé de ses voeux un rassemblement de masse d'"un million de personnes sur les Champs-Elysées" mais, ensuite, il a rendu les syndicats responsables de la modestie des mobilisations successives. Aujourd'hui, les ordonnances-travail sont en passe d'être validées par les parlementaires.

Frasques médiatiques et soutien politique ahurissant

Aux erreurs de stratégie politique du leader de La France insoumise se sont ajoutées des "faits divers" touchant des personnalités du mouvement. Le député Corbière (LFI, Seine-SaintDenis) et sa compagne, Raquel Garrido, se sont trouvés empêtrés dans une affaire immobilière : le couple bénéficiait depuis des années d'un logement à loyer modéré. Si cette attribution avait été faite en toute légalité, le maintien dans les lieux semblait moralement problématique au regard des revenus pas vraiment modestes des intéressés. Et pour faire bonne mesure, Raquel Garrido a multiplié des frasques médiatiques qui ont moyennement amusé une frange des insoumis comme, certainement, une partie des sympathisants.

Comme si cette accumulation ne suffisait pas, la député Danièle Obono (LFI, Paris) a jeté un froid, en déclarant que la porte-parole du Parti des indigènes de la République (PIR) était sa "camarade" de combat sur le terrain de l'antiracisme. Or, il se trouve que la porte-parole en question, Houria Bouteldja, a tenu des propos ouvertement... racistes et antisémites. Cette prise de position pour le moins ahurissante a contraint Mélenchon à faire une mise au point pour démarquer son mouvement du PIR.

Ce recadrage, pourtant, n'a pas empêché Danièle Obono d'en "remettre une couche", en prenant la défense du syndicat Sud-Education 93 qui organise, en décembre, une formation pour des enseignants dans des "ateliers en non-mixité". C'est-à-dire interdits aux Blancs. C'est-à-dire également en opposition avec les principes constitutionnels de la République. Issue d'un courant minoritaire du trotskisme au sein du NPA (Nouveau parti anticapitaliste, successeur de la Ligue communiste révolutionnaire), cette élue met en évidence les oppositions politiques non-résolues qui perdurent dans "la gauche de la gauche".

A la recherche d'une popularité en chute manifeste

Cet assemblage baroque fait de bévues stratégiques et de dérapages politiques ou non-politiques ne pouvaient avoir qu'une conséquence négative sur La France insoumise et sur son chef de file. De fait, un sondage Odoxa montre que Mélenchon a perdu six points de popularité en deux mois - de 42% à 36% entre septembre et novembre - alors qu'il en avait gagné six en un peu moins de deux ans - de 33% à 39% entre novembre 2014 et août 2016. Dans le même sondage, il est perçu par l'opinion comme "agressif" (69%) et "jouant trop perso" (68%).

Il ne suffit pas de dire, comme Corbière, que l'institut Odoxa n'est "pas sérieux" car il avait donné Juppé vainqueur de la primaire de la droite - ce que tous les organismes de sondage ont donné à un moment où à un autre ! - pour analyser correctement la position actuelle de La France insoumise. Il est préférable d'avoir de vrais arguments politiques. S'il ne fait pas de doute que son leader - isolé - est toujours considéré, dans la même enquête Odoxa, comme le "meilleur opposant" au président de la République - 37% contre 29% à Le Pen fille et 24% à Wauquiez -, il n'en demeure pas moins que Mélenchon l'insoumis est au creux de la vague. Ses paramètres personnels passent au rouge !

On peut aisément imaginer que ces données n'entameront pas les convictions et le moral du noyau dur des insoumis qui participent, les 24 et 25 novembre, à Clermont-Ferrand, à une convention du mouvement. Il n'en va probablement pas de même pour les sympathisants et pour l'électorat qui, manifestement, émet quelques doutes sur l'efficacité collective de La France insoumise et les capacités personnelles de Mélenchon. Le lancement, en janvier 2018, de l'organe d'information mélenchoniste - "Le Média" - donnera-t-il à l'une et à l'autre un second souffle ?

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu