Giscard, le retour ! Près de 45 ans après sa victoire élyséenne sur François Mitterrand, en mai 1974, Valéry Giscard d'Estaing - plus jeune président élu à l'époque (48 ans) et plus vieil ancien chef de l'Etat encore vivant, aujourd'hui (91 ans) - prend-il un bain de jouvence ? L'affaire de la création du groupe "Les Constructifs" (LC), députés dissidents de la droite en délicatesse avec "Les Républicains" (LR), peut inciter à se poser la question.
Non seulement Emmanuel Macron a passé le PS au laminoir, deux fois de rang - une première fois à la présidentielle, en écrabouillant son candidat Benoît Hamon (6,36% des exprimés au premier tour, soit le pire score après les 5,01% obtenus par Gaston Defferre en 1969), et une seconde aux législatives, en réduisant de 90% les effectifs socialistes à l'Assemblée nationale (31 députés contre 295 élus en 2012), mais il a aussi fait exploser la droite. Alors qu'elle était programmée pour revenir au pouvoir dans une consultation "imperdable", cette dernière s'est fait balayer.
François Fillon a été écarté du second tour présidentiel, le nouveau chef de l'Etat a nommé un homme de droite - Edouard Philippe - à Matignon et des "figures" LR, dont Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, sont entrées au gouvernement, aux législatives la droite parlementaire a perdu la moitié de ses élus et un groupe dissident "Macron-compatible" a vu le jour. En quelques semaines, la droite française a retrouvé ses deux familles historiques : les "Bonapartistes" d'un côté, les "Orléanistes" de l'autre.
L'Elysée perdu, l'attelage orléano-bonapartiste est mort
Ce n'était pas faute, pourtant, d'avoir déployé beaucoup d'efforts, depuis 15 ans, pour réunir les deux branches dans un seul conglomérat. Avec un certain succès, en apparence. Réélu président de la République en 2002, Jacques Chirac avait créé de toutes pièces un regroupement de la droite et du centre baptisé UMP (Union pour un mouvement populaire). L'affaire avait fonctionné car "le chef" était à l'Elysée. Elle s'était donc poursuivi quand Nicolas Sarkozy lui avait succédé en 2007. Mais son échec face à François Hollande, en 2012, obérait l'aventure de l'union de la droite et du centre : l'UMP n'avait plus de tête indiscutable.
Le passage du rassemblement UMP au parti LR voulu par Sarkozy, en 2015, n'a probablement pas été assez appréhendé comme une claire mainmise des Bonapartistes dont la filiation allait de l'UNR au RPR, en passant par l'UDR. Dès lors, la sensibilité des Orléanistes, qui s'était incarnée dans le giscardisme et à l'UDF, allait passer en douce à la trappe. Autant l'alliance des deux familles pouvait fonctionner sous l'autorité d'un président de la République de droite, autant elle courait tous les risques de se déliter sans la présence d'un "guide néogaulliste" au sommet de l'Etat.
Finalement, Macron n'a fait qu'accélérer un divorce dont les prémices s'étaient fait jour en 2012 avec la défaite sarkozyste et s'étaient trouvés confirmés en 2015. D'autant que la dérive droitière des Bonapartistes sur les thèmes de l'identité nationale, du culte du chef, de la méfiance à l'égard de l'Europe et du nationalisme sous-jacent ne pouvait qu'inquiéter les Orléanistes, partisans d'un libéralisme sociétal et défenseurs intransigeants de l'Union européenne. De ce point de vue, certaines déclarations anti-européennes de certains dirigeants de la "droite dure" n'ont rien à envier à "l'Appel de Cochin" lancé en 1978 par Chirac... contre Giscard, figure de proue des Orléanistes et chef de file du "parti de l'étranger".
"Les Républicains" sous la menace de futures fissures
"Il faut que tout change pour que rien ne change", selon l'expression de l'écrivain italien Lampedusa popularisée par le film "Le Guépard"... Tout se passe comme si le chamboulement provoqué par l'irruption du macronisme sur la scène avait remis en place quelques invariants de la vie politique française. Si on peut l'observer dans l'imaginaire collectif avec le Parti socialiste et la France insoumise qui rejouent le Congrès de Tours de 1920, on le déniche aussi avec cette nouvelle jeunesse du giscardisme qui se matérialise à travers la constitution du groupe dissident "Les Constructifs". A l'évidence, ces derniers sont arrivés au bout du chemin avec "Les Républicains".
Selon ces derniers, auxquels on ne peut pas vraiment donner tort, les "traitres" qui ont pactisé avec Macron auraient dû quitter d'eux-mêmes le navire, comme l'a du reste fait Le Maire, ministre de l'économie, en rejoignant "La République en marche". Mais pour appuyer là où ça fait mal - la dérive droitière impulsée par Laurent Wauquiez, favori pour la présidence du parti -, Philippe, le premier ministre, et Darmanin, ministre des comptes publics, ont préféré attendre leur exclusion. Celle-ci a tardé, puis le psychodrame a tourné à la pantalonnade (absence de quorum au bureau politique en première convocation), mettant en évidence l'embarras de la direction de LR.
Il est difficile de ne pas imaginer que ces exclusions (prononcées le 31 octobre lors d'une nouvelle réunion du BP) ne vont pas provoquer de nouvelles secousses et entraîner de nouveaux divorces entre Bonapartistes et Orléanistes. Avant même l'énoncé de la sentence, l'ancien ministre pro-européen, Alain Lamassoure, a annoncé dans un tweet-vidéo à l'humour grinçant - "Les Républicains à la recherche d'un domicile fixe" - son départ du parti. Et au-delà des anciens UDF façon Giscard, il est possible que d'anciens UMP façon Juppé ne se sentent plus très à l'aise dans une formation présidée par un homme qu'ils soupçonnent de lorgner à l'extrême droite. Franchiront-ils le pas jusque vers... les Orléanistes ?