"Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés..." Ainsi parle La Fontaine (1621-1695) dans "Les animaux malades de la peste". Cette allégorie pourrait très bien s'appliquer à la vie politique depuis cinq mois. Depuis le second tour de l'élection présidentielle, le 7 mai, qui a vu la large victoire d'Emmanuel Macron sur Marine Le Pen. Pour la première fois sous la Ve République, les électeurs devaient départager un quasi-inconnu, novice en politique qui se disait, "en même temps", "de gauche et de droite" et une candidate d'extrême droite, héritière d'un parti politique co-fondé par son père, lui-même finaliste en 2002. Et pour la première fois, les deux partis qui sous-tendaient le régime depuis ses origines - les gaullistes et leur ersatz pour la droite, les socialistes et leurs "frondeurs" pour la gauche - étaient écartés de la joute finale.
Si "Les Républicains" sont parvenus à sauver les meubles aux élections législatives de juin, en constituant un groupe de 100 députés (95 membres et 5 apparentés), ce qui les place au deuxième rang derrière "La République en marche" (313 députés), il n'en a pas été de même pour le Parti socialiste. Groupe majoritaire en 2012 avec 295 députés, soit 51,1% de ceux siégeant dans l'Hémicycle, les socialistes ont subi une hécatombe en 2017, ne faisant passer que 31 candidats, soit une perte de 264 unités, ce qui correspond à 9 députés "dégagés" sur 10. Rebaptisé "Nouvelle gauche", le groupe socialiste ne représente plus que 5,4% des 577 députés. Jamais les socialistes n'ont compté aussi peu d'élus au palais Bourbon depuis 1958 : ils en avaient 47 cette année là ! Ils en eurent 57 en 1968 et 1993. Peut-on se relever d'un tel cataclysme ?
La campagne présidentielle et l'entrée de Macron à l'Elysée ont fait exploser le PS. Miné pendant cinq ans par les "frondeurs" et par les tergiversations de François Hollande, le Parti socialiste a systématiquement perdu toutes les élections nationales intermédiaires. Ni ses opposants de gauche ni l'ex-président de la République ne sont parvenus à formaliser et à imposer un projet politique et une ligne lisible. Tout s'est fait à la godille. Privé de chef de file populaire - Hollande a traîné son impopularité, comme un boulet, pendant tout son quinquennat - et incapable de faire émerger de nouvelles têtes crédibles - Benoît Hamon, son candidat à la présidentielle, a obtenu 6,36% -, le PS est tombé au fond du trou. Comme une omelette, il s'est fait mangé par les deux bouts : d'un côté par Macron, de l'autre par le "patron" de "la France insoumise", Jean-Luc Mélenchon.
Sans ligne, sans projet, sans leader...
Cinq mois après la présidentielle, le Parti socialiste est exsangue : ses finances sont à sec, il est contraint de vendre son siège, rue de Solferino, à Paris, il procède au licenciement de plusieurs dizaines de collaborateurs, de nombreux militants ne fréquentent plus leurs réunions de section, bon nombre de ses dirigeants ont disparu des radars, soit parce qu'ils ont quitté la vie politique, soit parce qu'ils ont quitté leur parti. Incapable d'offrir une alternative politique, les "frondeurs" eux-mêmes se sont dispersés dans la nature. Les uns, qui n'avaient pas rejoint Mélenchon avant la présidentielle, se sont ralliés à "La France insoumise" après, les autres ont suivi Hamon au "M1717", son mouvement lancé le 1er juillet 2017. Et une légion de sympathisants ou d'électeurs a fait sienne le macronisme naissant. Il fallait que le PS soit vraiment mal en point pour prendre, à ce point, l'eau de toutes parts.
L'opinion - versatile s'il en est - semble avoir effacé le PS de son horizon. Son horizon immédiat, en tout cas. Un récent sondage de l'institut Elabe (11 octobre) consacré au parti "Les Républicains" montrait que 4 Français sur 10 estiment "qu'aucun mouvement politique en particulier n'incarne l'opposition à Emmanuel Macron et au gouvernement". Derrière, 35% assignent ce rôle à LFI, 13% au FN et 8% à la droite parlementaire. Et les socialistes, direz-vous ? Avec un score de 2%, comme le PCF, le PS est pour ainsi dire dans la marge d'erreur. Ni considéré comme un soutien au chef de l'Etat ni perçu comme son opposant, le Pari socialiste a le triste "privilège" d'être vu comme un vide. Sans ligne, sans projet, sans leader. Et comme la nature à horreur du vide, un homme a considéré qu'il fallait le combler - le vide - car ça ne pouvait pas durer. Cet homme, c'est Hollande !
Non seulement l'ancien président veut défendre son quinquennat contre les coups de boutoir de "l'ex-élève Macron" mais il tente de maintenir à flot le parti dont il fut le premier secrétaire pour le plus long mandat (1997-2008) depuis sa création en 1969. Il n'est pas certain que son absence de poids politique - bien réel aujourd'hui - et son impopularité - pour partie imméritée mais devenue en quelque sorte sa marque de fabrique - soient des atouts dans l'avenir pour le PS. Depuis le début du XXe siècle, des partis ont disparu comme le CNIP (Centre national des indépendants et paysans), d'autres ont vu leur influence se réduire comme peau de chagrin à l'image du PCF qui, premier parti de France après la Libération (26,2% à la Constituante d'octobre 1945 et 28,8% aux législatives de novembre 1946), gravite maintenant autour de 5% depuis des années. Certains comme les Radicaux, très influents au début du siècle dernier, se sont séparés, à gauche et à droite, avant d'envisager aujourd'hui de réunir leur famille. A l'aune de ces histoires tumultueuses, celle du socialisme à la française montre, sans doute, que le PS va être contraint de tourner la page.