Les "macronistes" devront céder des postes au bureau de l'Assemblée !

Richard Ferrand, président du groupe La République en marche de l'Assemblée, le 27 juin 2017. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Il serait abusif de dire que la XVe législature de la Ve République est partie sur de bons rails. La réalité, c'est qu'elle a démarré complètement de travers. Et la majorité des sept groupes politiques constitués a prêté la main à cette construction chaotique. Ce qui devait être une formalité avec l'élection du président de l'Assemblée nationale, puis du bureau qui l'entoure, s'est transformée en mauvaise pièce de théâtre.

Le spectacle a commencé avec les députés du groupe présidé par Jean-Luc Mélenchon. Afin de faire un peu de buzz, ils ont mis en scène leur insoumission en ne portant pas de cravate dans l'Hémicycle. Ce geste de rébellion plein de bravoure n'était quand même pas trop téméraire : le port de la cravate n'est qu'une coutume, voire une forme de respect qu'on peut considérer désuet, car rien n'indique dans le règlement de l'Assemblée qu'il est obligatoire.

Mais Mélenchon a voulu en faire une sorte de marqueur du monde insoumis en déclarant, un brin grandiloquent, qu'après les "Sans-culottes", ces manifestants des débuts de la Révolution de 1789, il y aurait, dorénavant, les députés "Sans-cravate" du 21e siècle. Soit. Sans cravate et sans veste aussi, voire un peu avachi sur son banc comme François Ruffin (La France insoumise, Somme) qui poussa l'insoumission jusqu'à ne pas se lever au moment de la proclamation de l'élection du président de la Chambre, François de Rugy (La République en marche, Loire-Atlantique). Soit encore.

Des vocation de soutien à la majorité... dans l'opposition

Les choses se sont corsées avec l'élection des questeurs de l'Assemblée, ces députés qui tiennent les cordons de la bourses, ont des pouvoirs enviés et bénéficient d'avantages matériels non négligeables. Les questeurs sont au nombre de trois. Depuis plus de 40 ans, la tradition veut que deux d'entre eux soient issus de la majorité et le troisième, du principal parti d'opposition. La coutume est tellement ancrée que les questeurs n'étaient même pas élus mais désignés par consensus.

Patatras en 2017 ! Le mécanisme qui fonctionnait si bien avec le bipartisme droite-gauche s'est déréglé avec l'irruption du "macronisme" - groupe LREM - et les dégâts collatéraux qu'il a causés dans les travées. En dehors d'avoir réduit les socialistes à la portion congrue - le groupe Nouvelle gauche (ex-PS) compte 31 députés contre 295, avec les apparentés, élus en 2012 -, le nouveau président de la République a fait naître des vocations de soutien... dans l'opposition. D'où la constitution d'un groupe dit "Les Constructifs" (LC) venant des centristes de l'UDI et du parti "Les Républicains" (LR).

Et ce sont les "Constructifs" - un groupe de 35 députés - qui ont enrayé la machine. Sans prévenir ses amis centristes, semble-t-il, Thierry Solère (LC, Hauts-de-Seine), transfuge LR, a présenté sa candidature à la questure. Du coup, il n'y avait plus trois, mais quatre candidats pour trois postes. Deux revenant de "droit" à LREM, le troisième, promis à l'origine à Eric Ciotti (LR, Alpes-Maritimes), devenait convoité par un "Macron-compatible" de droite. La guerre interne était déclarée.

L'histoire n'a pas encore déterminé si des consignes de vote ont été données par Matignon, voire l'Elysée, ou si, au contraire, le président du groupe LREM, Richard Ferrand (Finistère) n'a pas su gérer la situation correctement. Selon un administrateur de l'Assemblée, rompu à ces exercices, "soit c'est une manipulation, soit c'est de l'incompétence". Au bout du compte, Solère a été élu avec les voix des "macronistes" alors que le groupe LC ne pouvait pas avoir ce poste de questeur. Mélenchon a beau dire que "l'Assemblée est souveraine", une règle mathématique interne a été enfreinte.

Une image d'amateurisme... ou de "combinazione"

En effet, un nombre de points est affecté à chaque poste du bureau. Le président vaut 4 points; chaque questeur, 2,5 points, et ils sont trois; chaque vice-président, 2 points, et ils sont six; chaque secrétaire, 1 point, et ils sont douze. Le total fait donc 35,5 points qui sont répartis, selon une règle interne, au pro rata de la représentation de chaque groupe. Ainsi avec 54,4% des députés (314 sur 577), LREM dispose de 19,31 points. Et ainsi de suite... Donc, le groupe LC (35 députés sur 577, soit 6,1%) n'a que 2,15 points. Moins qu'un questeur à 2,5 points !

Ce micmac invraisemblable dont le fait générateur était une guerre interne à la droite, qui a été mal contrée par la majorité, a provoqué la colère du président du groupe LR, Christian Jacob (Seine-et-Marne), relayée par le président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR-PCF), André Chassaigne (Puy-de-Dôme). Résultat des courses, "Les Républicains", boudeurs à bon droit, se sont retirés sur l'Aventin et n'ont eu aucun élu au bureau... alors que la règle mathématique leur attribue 6,15 points, donc plusieurs postes.

Au-delà du théâtral "jeu de rôles" - un classique de l'Assemblée -, la mise en route de cette législature donne de la majorité, au mieux une image d'amateurisme et au pire de "combinazione". Sur le plan politique, ce n'est pas une réussite et sur celui de l'équité, c'est une faute. Avec un président, deux questeurs, cinq vice-présidents sur six et sept secrétaires sur douze, ils cumulent... 26 points. Soit au moins six de trop ! A terme, les "macronistes" devront céder plusieurs postes pour rééquilibrer la situation. Sans oublier de trouver un moyen pour réattribuer le poste de questeur à LR, même si le candidat ne leur plaît pas. Le plus tôt serait le mieux. En respectant le règlement.

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu