De deux choses l'une ! Soit les abstentionnistes, au centre de toutes les attentions depuis le soir du premier tour des élections législatives, se lèvent en masse au matin du second round, le 18 juin, soit ils persistent dans leur cure d'abstinence des urnes. Dans la première hypothèse, cela "corrigerait" les prévisions de majorité absolue à l'Assemblée nationale pour le parti du président de la République (autour de 400 députés). Dans le second cas, cela ne changerait rien à la majorité écrasante qui est annoncée. Et cela pourrait même l'aggraver pour "les oppositions" à venir, si l'électorat présidentiel d'Emmanuel Macron, piqué au vif à propos de la "légitimité", en mettait une second couche...
Certes, la participation a atteint, le 11 juin, un niveau historiquement bas, inégalé lors de législatives sous la Ve République. "En même temps", comme dirait l'autre, elle n'a cessé de reculer après la consultation de 1993 où elle avait atteint 68,93% au premier tour. En 1997 (législatives anticipées après la dissolution prononcée par Jacques Chirac), elle pointait à 67,92%. Le premier vrai décrochage (64,42%) s'est produit en 2002, après le vote l'année précédente par les députés (majorité de gauche) d'une loi fixant la date des législatives dans la foulée du scrutin présidentiel : celui-là avait vu la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour. La chute s'est poursuivie en 2007 avec 60,42% et en 2012 à 57,22%. Pour atteindre 48,70% aujourd'hui.
On ne dissèquera pas ici les raisons - multiples - de l'accroissement vertigineux de ce désintérêt électoral. Mis à part que les Français peuvent avoir le sentiment d'être en campagne électorale permanente (municipales et européennes en 2014, départementales et régionales en 2015, primaires de droite et de gauche en 2016 et 2017), les raisons sont à la fois conjoncturelles et structurelles. Parmi ces dernières, le passage au quinquennat et le calage des législatives derrière la "mère des élections" a sur-renforcé le caractère présidentiel de la Ve République... sur un mode américain. L'effacement du premier ministre théorisé par Nicolas Sarkozy en atteste. Une majorité d'électeurs a tendance à considérer, maintenant, que l'essentiel du boulot est fait avec l'élection du chef de l'Etat. Les législatives deviennent une sorte de formalité qui mobilise surtout l'électorat du vainqueur pour lui octroyer la majorité dont il rêve.
Macron est, "en même temps", une cause et une conséquence
Il se trouve que le système électoral (scrutin majoritaire uninominal à deux tours), non tempéré par une dose de proportionnelle, amplifie automatiquement les résultats du vainqueur en termes de sièges au palais Bourbon. Alors si l'abstention s'y rajoute, le résultat devient catastrophique pour les perdants qui obtiennent une représentation sans rapport avec leur poids politique. Et même si la Chambre des députés n'est pas faite pour retranscrire dans l'hémicycle la cartographie des forces politiques mais pour dégager des majorités qui votent les lois, cette distorsion pose un problème majeur car elle entrave le débat démocratique normal qui doit s'instaurer entre une majorité et une opposition. Mais en l'espèce, cette aspect de la question risque d'être occulté par le dynamitage qui va se produire après le 18 juin. Le paysage politique traditionnel va s'effondrer.
Cette explosion est largement due à la campagne fulgurante et à l'entrée d'un homme de 39 ans à l'Elysée, entrée à laquelle personne n'a vraiment cru pendant un an ! En retour, cette insolente réussite du nouveau président de la République est aussi le résultat de la crise qui mine les partis depuis des années, de façon plus ou moins souterraine, selon les moments et les acteurs. En clair, Macron est, "en même temps", une cause et une conséquence du bouleversement, manière chamboule-tout, qui frappe la sphère nationale. En plusieurs séquences successives, les électeurs ont montré qu'ils voulaient sortir d'un "ronron" politique convenu et stérile. Ils ont "éjecté" toutes les têtes de gondoles politiques les unes après les autres, d'abord dans les primaires, ensuite à l'élection présidentielle, enfin au premier tour des législatives. Et puis, ils ont placé Macron au centre du village et ils vont maintenant lui donner une majorité pour gouverner... autrement. C'est du moins ce qu'ils espèrent. Comme Macron le laisse penser.
La saison suivante de cette saga s'ouvrira donc au lendemain du second tour législatif, le 19 juin. Des guerres fratricides vont être déclenchées chez "Les Républicains", au Parti socialiste et au Front national, les trois partis dont le champion du moment ou la championne héréditaire ont été sèchement battus à la présidentielle. "La France insoumise" sera épargnée - dans un premier temps ? - par ce lavage de linge sale bien qu'entre les déclarations péremptoires de son chef et leur concrétisation dans les urnes, il risque d'y avoir un certain décalage. Jean-Luc Mélenchon ne se voyait-il pas en premier ministre d'un "monarque républicain" dont il dit qu'il l'aurait "plié", s'il l'avait affronté au second tour de la présidentiell? Propos de campagne à l'emporte-pièce qui plaît aux militants mais qui n'a pas un grand rapport avec la réalité quand on a fini quatrième au premier tour.
La ligne politique sera en débat, à droite et à gauche
Or donc, "Les Républicains" vont avoir leur grande explication interne. Il y aura le huis clos d'où tout va fuiter. Et il y aura Twitter, les matinales et les télés en continu où les règlements de compte vont s'enchaîner et se déchaîner. Première victime expiatoire : François Fillon. C'est sur lui, ses "affaires" et sa campagne que va d'abord se concentrer le tir d'artillerie. Ensuite, ses soutiens, ceux qui l'ont encouragé ou tenu à bout de bras, seront dans le collimateur. Enfin, on abordera le fond de l'affaire : la ligne politique de la droite, ou plutôt son absence, puisque la droite s'est contentée d'attendre, pendant cinq ans, une victoire présidentielle immanquable qui est devenue hypothétique, puis inatteignable. Mais pendant un quinquennat d'opposition, elle n'a strictement rien fait pour clarifier sa ligne, faisant cohabiter Juppé et Wauquiez. Résultat des courses : les amis du premier se sépareraient bien des amis du second.
Au PS, même topo. De l'Elysée, pendant cinq ans, Hollande n'a jamais vraiment assumé publiquement sa ligne social-démocrate libérale et les "frondeurs", dès le départ, n'ont eu de cesse de saboter le quinquennat. Au point de faire croire à l'opinion qu'il n'y avait plus de "gauche de gouvernement". Les socialistes, comme la droite, ont souffert d'une crise de leadership. Ils en souffrent encore. Aucune personnalité n'est dominante. Au moins, même si cela avait un côté illusoire, François Mitterrand savait rassembler et passer la poussière sous le tapis à l'intérieur du parti. Il avait l'art pour "marier" Chevènement et Bockel. Le chef de file historique de l'aile gauche, le CERES, et le prospecteur de l'aile droite s'en sont allés dans les années 1990 et 2000. Fidèle à son histoire, le socialisme français a continué à faire cohabiter ces deux courants. Et aujourd'hui, il se retrouve, de façon caricaturale, avec Filoche et Valls. A l'évidence, ce n'est plus possible.
Dans les deux cas, Macron attend de ramasser les morceaux. Pour le Front national, c'est une autre histoire. La crise va opposer les pro et les anti-Philippot. La bataille a déjà commencé. Arc-bouté sur le thème, indispensable à ses yeux, de la sortie de l'euro, celui-là même qui a coulé Marine Le Pen entre les deux tours de la présidentielle, le vice-président du parti d'extrême droite a menacé de faire ses bagages si celui-ci était abandonné. A dire le vrai, cette menace est prise comme une bénédiction par une partie des dirigeants du FN, tant Philippot polarise les rancoeurs politiques ou les jalousies personnelles. Longtemps considéré, par lui-même d'abord, comme "le dauphin" potentiel, il a vu son étoile pâlir. Et derrière les rivalités de personnes, c'est bien sur la ligne politique que va porter le débat interne. Mais là, sans espoir pour Macron, de récupérer quoi que ce soit !