En marche... vers une Chambre de légende ?

Scène culte de Jean Gabin dans le film "Le président" de Henri Verneuil, en 1961.

Sera-t-elle "introuvable" ? Sera-t-elle "bleu horizon" ? Sera-t-elle plutôt du style 1968 ou 1981 ? Tous les sondages d'intentions de vote pour les élections législatives des 11 et 18 juin annoncent une majorité absolue de députés favorables au nouveau président de la République à l'Assemblée nationale. Et issue peut-être uniquement de la formation créée par Emmanuel Macron en avril 2016 - En Marche! - et rebaptisée La République en marche ! (LREM), au lendemain de sa victoire élyséenne du 7 mai 2017, en vue des législatives.

La prochaine "Chambre" pourrait donc être "introuvable", bleu horizon" ou sur les modèles 1968, 1981 et 2012. C'est-à-dire que l'hémicycle du palais Bourbon aura peut-être un caractère de légende, au sens où il entrera dans l'histoire parlementaire. Comme la Chambre introuvable d'août 1815, sous Louis XVIII, qui abrita une majorité absolue de députés monarchistes tellement ultras qu'elle fut considérée "plus royaliste que le roi". Ou comme la Chambre bleu horizon élue en novembre 1919 avec la coalition dominatrice du "Bloc national" réunie autour de George Clemenceau.

Ces deux assemblées avaient la particularité d'offrir un profond renouvellement de la représentation nationale. Tant en 1815 qu'en 1919, de nombreuses têtes nouvelles étaient entrées à l'Assemblée nationale. Comme en 1968 où le parti gaulliste avait submergé l'hémicycle après les événements de Mai - il y avait 293 députés UDR (Union des démocrates pour la République) sur un total de 487 élus - ou comme en 1981 quand le Parti socialiste (PS) avait envoyé 285 députés sur 491 siégeant à la "Chambre", après l'élection de François Mitterrand, premier président de gauche de la Ve République. Dans les deux cas, l'UDR et le PS avaient remporté légèrement plus du tiers des voix au premier tour de scrutin et les deux partis avaient obtenu entre 58% et 60% des sièges au terme du second.

De 28% à 32% d'intentions de vote pour les macronistes

Deux siècles plus tard... Un siècle, un demi-siècle ou 36 ans après, le scénario est en voie de se reproduire. Evidemment, les causes sont propres à chaque cas et chacune de ces "Chambres" a suivi une destinée différente. Ephémère en 1815, impitoyable, en 1920, pour Clemenceau qui achèvera là sa vie politique faute d'avoir été choisi comme candidat à l'élection présidentielle. Sur le mode laminoir pour l'UDR et le PS qui perdront beaucoup de sièges aux consultations suivantes de 1973 et de 1986, malgré une tentative de Mitterrand, dans le second cas, pour "sauver les meubles", en passant au mode de scrutin proportionnel... qui fit entrer 35 députés du Front national à l'Assemblée.

Les intentions de vote mesurées par les instituts de sondage oscillent entre 28% et 32% pour La République en marche ! au premier tour de la consultation. Ces taux donneraient au second tour, selon les projections en sièges, de 350 à 400 députés macronistes et centristes du Modem de François Bayrou. Les premiers ayant la majorité absolue - elle est de 289 sièges sur les 577 - à eux seuls. Comme il n'existe aujourd'hui aucun député LREM dans l'Assemblée sortante, cette entrée massive et dominatrice serait unique - légendaire, diront certains ! -  dans les 60 ans d'histoire de la Ve République. D'autant plus incroyable qu'aucun d'entre eux, mis à part quelques transfuges, n'aura jamais détenu le moindre mandat parlementaire.

Et c'est peut-être là que réside la force essentielle des candidats LREM. En dehors, bien sûr, du bonus considérable que représente la victoire de leur jeune champion à la présidentielle. Ce renouvellement de fond en comble de la vie politique - ce que Jean-Luc Mélenchon a résumé par un mot, le "dégagisme", qu'il voyait s'appliquer à son profit - semble être raccord avec un souhait majoritaire de l'opinion publique. Dans l'écrasante majorité des circonscriptions, des électeurs vont voter pour des candidats qui leur sont parfaitement inconnus et qui n'ont aucun passé ou aucun bilan législatif. Dans beaucoup de cas, ils vont même les placer en tête, devant des députés sortants aux multiples mandats successifs... Un comportement que l'opinion rejette maintenant et que Macron veut faire disparaître.

Aucune raison pour que le "dégagisme" s'arrête en chemin

Le "dégagisme" est en marche depuis que les "partis installés" ont lancé le mécanisme de leur primaire préalable à la présidentielle. Il a commencé avec Cécile Duflot chez Europe écologie-Les Verts, il s'est poursuivi avec l'élimination de Nicolas Sarkozy, puis d'Alain Juppé à la primaire de droite avant la renonciation de François Hollande dont les chances de renouveler son bail à l'Elysée étaient minces, pour ne pas dire inexistantes. Puis le "dégagisme" est passé à gauche à l'occasion de la primaire d'icelle avec l'échec de Manuel Valls. Le travail a été achevé à la présidentielle avec l'éjection de François Fillon avant le second tour.

Il n'y a aucune raison, a priori, pour que le phénomène s'arrête en si bon chemin. Selon toute vraisemblance, il va se reproduire dans un nombre considérable des 577 circonscriptions. Et la participation mesurée dans les enquêtes étant annoncée autour de 60% - elle est en constante diminution depuis 1993 -, il est possible, sinon probable, que le nombre de triangulaires, voire de quadrangulaires, soit assez réduit. Les Français de l'étranger ont donné un signe avant-coureur de ce scénario, avec un taux d'abstention ridiculement élevé (plus de 80%) : il y aura 11 duels au second tour dans leurs 11 circonscriptions et une forte probabilité pour La République en marche ! de réaliser un grand chelem.

Le revers de la médaille d'une "Chambre" introuvable ou bleu horizon modèle Macron 2017, c'est le risque du retour des "godillots", selon le qualificatif qui était accolé aux députés gaullistes des années 1960 et 1970. Ces élus de la République étaient réputés pour avoir le petit doigt sur la couture du pantalon et pour entériner, sans piper, tous les projets présentés par l'exécutif. Sans beaucoup débattre. C'est le danger qui guetterait cette Assemblée nationale "new look" peuplée de néophytes n'ayant aucun connaissance des mécanismes législatifs. Pour faire tourner le moteur de la République, il est quand même préférable de savoir comment ça fonctionne sous le capot !

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu