Incontestablement, Jean-Luc Mélenchon est un tribun politique. Tout aussi incontestablement, l'ancien candidat de la France insoumise est un meneur d'hommes. Et de femmes. Ces deux qualités ne sont pas passées inaperçues pendant la campagne de l'élection présidentielle. Elles lui ont permis de faire une remontée remarquée dans le mois qui a précédé le premier tour de scrutin. Il a d'abord "mangé", puis laissé sur place Benoît Hamon, le candidat "frondeur" du Parti socialiste, avant de venir mordre les mollets de François Fillon, le candidat de la droite, contesté dans son propre camp. Finalement, à son grand désespoir, il a terminé en quatrième position, le 23 avril... Une place non qualificative pour la finale.
Dire qu'il a été déçu par ce qui ne pouvait être, pour lui, qu'un échec personnel est un euphémisme. Longtemps, pendant la soirée électorale, lui, ses lieutenants et ses partisans ont voulu croire que le rapport de forces allait tourner à son avantage pour permettre à la France insoumise d'accéder au second tour. La troupe donnait même l'impression d'être dans la dénégation de la réalité des chiffres. Au demeurant, il est vrai que Mélenchon pouvait l'avoir mauvaise d'échouer si près du but. D'ou le refrain repris en boucle les jours suivants par le chef et son état-major - "il a manqué 600.000 voix... "-, en omettant seulement de préciser qu'il n'était pas troisième mais quatrième.
C'est après que les choses se sont un peu gâtées. Il était hors de question pour Mélenchon d'appeler à voter en faveur d'Emmanuel Macron, symbole à ses yeux de ce qu'on peut (presque) faire de pire en politique. "Son bagage programmatique est aussi ringard et archaïque que sa candidature est "neuve". Loin du camp "progressiste" dont il se revendique quand ça lui prend, Macron remonte le temps vers le catéchisme libéral pur jus des années 1980 et 1990", écrivait-il, en novembre 2016, dans une note de blog sobrement titrée "Un petit tour d'horizon", aussi long qu'un jour sans pain malgré son intérêt politique. Il y suggérait, tout à fait explicitement, que le programme de l'ancien ministre de François Hollande, s'inspirait, pour partie, de celui de... Marine Le Pen.
Il fallait que Macron fasse le score le plus faible possible
"Un bon mix de vocabulaire mielleux et confit de déclarations compassionnelles pour enrober un déballage d’emprunts à la droite et parfois même à l’extrême droite. Pas moins", assurait-il, en effet, au sujet des propositions de Macron. Le personnage et le projet ne trouvaient donc pas grâce à ses yeux. Et selon une analyse binaire, le tout était rangé, en deux temps trois mouvements, dans une case située très à droite. Il est vrai qu'à l'époque, le futur élu du 7 mai n'était pas encore très dangereux puisqu'il était donné troisième dans les sondages d'intentions de vote derrière Le Pen fille et le futur candidat de la droite. Macron méritait donc bien de faire partie du "package", Mélenchon se considérant comme le seul véritable adversaire de ces trois là.
Bref, au soir du premier tour, les données ayant légèrement évolué mais le décor ayant été planté préalablement, il fallait tenter de s'en sortir par le haut. C'est-à-dire ne pas favoriser la candidate d'extrême droite (la vraie) sans appeler à voter pour son adversaire, Macron, dont on avait justement écrit avant qu'il était un peu mâtiné extrême droite. Après s'être retranché devant une consultation populaire des "insoumis" - Mélenchon avait appelé immédiatement et sans barguigner, en 2002, à voter Chirac contre Le Pen père, en se payant le luxe d'engueuler ceux qui ne suivaient pas cette consigne -, le candidat insoumis du premier trouva la formule magique. "Pas une voix pour Le Pen", fut-il décidé, ce qui ne voulait évidemment pas dire "portez-vous sur Macron". Loin de là. Mélenchon ouvrait tout simplement la voie à l'abstention, au vote blanc ou nul.
L'analyse des têtes pensantes insoumises était simple : Macron allait indéniablement gagner mais il fallait que ce soit avec le score le plus faible possible. Mélenchon n'allait quand même pas apporter sa pierre au plébiscite. Le problème de ce puissant raisonnement, c'est qu'il a un revers. Plus bas possible d'un côté signifie automatiquement par voie de conséquence plus haut à craindre de l'autre. Plus Macron était bas, moins il avait de légitimité. Corollaire : la candidate du Front national étant alors à un étiage élevé - 40% ou plus -, elle devenait de facto la leader de l'opposition au président élu. Patatras, rien ne s'est passé comme prévu, ou plutôt envisagé. Macron a gagné avec plus de 66% des voix et Le Pen était donc à moins de 34%. Deuxième échec stratégique après celui du premier tour.
La violente harangue marseillaise nuit aux sondages
Cette évidence n'empêchait pourtant pas deux proches de Mélenchon, Raquel Garrido et Alexis Corbière, d'entrer dans la "post-vérité" en développant un peu des "faits alternatifs". La première, porte-parole de la France insoumise, considérait que Macron était un "président faible", alors que le second, porte-parole de Mélenchon, assurait que le président en question était "minoritaire". N'ayant pas peur de contredire ses lieutenants, Mélenchon lançait, dès le 7 mai au soir, un appel à ses électeurs en vue des législatives pour s'opposer au "nouveau monarque présidentiel". Monarque qui était donc, quand même, "faible" et "minoritaire" ! A l'évidence, le candidat insoumis de la présidentielle voulait sortir au plus vite de cette séquence un peu calamiteuse pour lui de l'entre-deux tours. Mais ces adversaires, le premier ministre Bernard Cazeneuve en tête, ne l'entendait pas de cette oreille.
Et c'est la là que la campagne législative de Mélenchon a commencé à dangereusement déraper. Jusqu'à devenir incompréhensible, en raison de sa violence verbale. Répondant à Cazeneuve qui avait évoqué, à nouveau, cette séquence du "non choix" pour le 7 mai, Mélenchon, désormais candidat à la députation à Marseille dans une circonscription détenue par la PS, a répondu en invectivant l'ancien ministre de l'intérieur, "le gars qui s'est occupé de l'assassinat de Remi Fraisse", ce jeune militant écologiste tué par le jet d'une grenade offensive des gendarmes sur le chantier de Sivens (Tarn). Mis à part qu'on ne comprenait pas pourquoi ce mort était "utilisé", pour ne pas dire "instrumentalisé", dans ce débat, Mélenchon donnait l'impression de régler un compte personnel. Pis, il donnait l'image d'un homme ne sachant pas tenir ses nerfs, alors même même qu'il avait brigué la magistrature suprême quelques semaines auparavant.
L'effet boomerang ne s'est pas fait attendre. Reprise sur les chaine de télé en continu, disséquée par les observateurs, soumise à une plainte en diffamation de Cazeneuve, la violente harangue marseillaise de Mélenchon a provoqué un trouble dans son électorat présidentiel. Sur le sismographe des instituts de sondage, la courbe des intentions de vote au premier tour des législatives a marqué un fléchissement. Alors qu'il se devait rassembleur pour conforter la frange socialiste qu'il avait décroché de Hamon pendant la présidentielle, il s'est montré agressif à son égard, de façon collatérale, et il a braqué une partie de cet électorat... qui a réintégré sa famille d'origine. Et pour ne pas faire dans la demi-mesure, il s'est aussi fâché avec la direction du PCF considérée comme une alliée peu sûre. Ces erreurs stratégiques vont peut-être coûter cher aux candidats de la France insoumise aux législatives. Peut-être coûter un groupe parlementaire à Mélenchon à l'Assemblée nationale. Et risquent ainsi de signer un troisième échec en deux mois.