Ce n'est pas tellement le lieu qui fait problème, c'est plutôt le geste. Tout à sa joie d'avoir été placé en tête du premier tour de l'élection présidentielle, Emmanuel Macron a fait la fête, avec ses amis et des "petites mains" de son mouvement "En Marche", dimanche 23 avril au soir, dans un restaurant parisien. Bien sûr "La Rotonde" dans le quartier de Montparnasse n'est pas le "Fouquet's" des Champs-Elysées mais l'image et le geste en ont frappé plus d'un.
En 2007, Nicolas Sarkozy avait célébré sa victoire sur Ségolène Royal dans le célèbre restaurant huppé des environs de l'Arc-de-Triomphe. C'était après le second tour, celui qui, sauf erreur, désigne le vainqueur de la présidentielle. Les non-dits et même les dits politiques et sociaux des clichés de ces agapes l'avaient poursuivi pendant tout son quinquennat. Il est vrai qu'il les avait lestés avec d'autres images faites sur le yacht de son ami Vincent Bolloré.
Dix ans après, Macron a refait le même genre d'erreur. Encore une fois, c'est moins le lieu que le moment qui font tiquer. Etait-il vraiment nécessaire de scénariser, plus que de raison, cette victoire intermédiaire alors même que les résultats du premier tour montraient que plus de 40% des électeurs avaient manifesté leur colère ou leur désespérance. C'est bien de promouvoir l'image d'une France heureuse qui gagne mais ce n'est pas mal non plus d'entendre la France malheureuse qui souffre.
Le scrutin élyséen, une consultation atypique
D'autant que ces "festivités" avaient un côté un peu anachronique : le premier tour n'est pas le second. Donc, rien n'était joué ! Même si tous les sondages s'accordent à donner une avance considérable au "prodige" de la politique française sur "l'ex-présidente provisoire" du Front national - il a réussi en moins de deux ans et à moins de 40 ans, ce qu'aucun avant lui n'était parvenu à bâtir -, il ne faut pas oublier que le scrutin élyséen est une consultation atypique qui ne ressemble à aucune autre.
Les preuves en ont été données dès le soir du 23 avril. Et cette fois plus encore que lors de toutes les élections présidentielles de la Ve République au suffrage universel depuis 1965. Pour la première fois, les représentants des deux mouvances - successeurs des gaullistes et socialistes - qui structurent l'exécutif depuis un demi-siècle ont d'emblée été éliminés. Et les deux partis qui les portaient - "Les Républicains" et le PS - sont en voie d'implosion. Ce schéma ouvre une séquence d'incertitudes.
D'autant que dans le face-à-face que les Français vont avoir à arbitrer, le 7 mai - le duel Macron-Le Pen -, les forces écartées au premier tour et les représentants qui les incarnent sont, pour quelques uns d'entre eux, embourbés dans une mélasse "politico-intellectuelle" qui donne le frisson. Ou qui éclaire d'une lumière assez crue les arrières-pensées - législatives ou d'agit-prop - des formations et des personnalités en question. Au choix !
La balle est maintenant dans le camp de Macron
Si François Fillon, digne dans la défaite, a immédiatement pris position en faveur de Macron contre Le Pen et l'extrême droite - près d'un électeur de droite sur trois fait le choix inverse, selon les enquêtes d'opinion -, Jean-Luc Mélenchon, manifestement atteint par sa 4e place - s'est refusé à exprimer son choix personnel pour le second tour : il s'est retranché derrière une consultation des 450.000 partisans de "la France insoumise" pour la suite des opérations. En 2002, a contrario, l'ancien ministre de Lionel Jospin avait appelé, sans barguigner, à voter pour Chirac contre Le Pen père.
Certains dirigeants de la droite républicaine considèrent, contre l'évidence de projections électorales, que les législatives pourraient conduire à une cohabitation qui leur serait favorable. Pour Xavier Chinaud, ancien conseiller de Jean-Pierre Raffarin pour les études politiques, à Matignon (2002-2005), il s'agit d'une "pure fiction"... A la gauche de la gauche, une partie - minoritaire ? - des mélenchonistes laisse accroire qu'une défaite de Macron, ou à tout le moins le score de victoire le plus faible possible, placerait "la France insoumise" en position de force à gauche et dans le pays. Pour ramasser la mise. Un calcul qui relève de l'irresponsabilité politique !
Quoi qu'il en soit, la balle est maintenant dans le camp de Macron. Face à Le Pen qui multiplie les clins d'oeil en direction de l'électorat de Mélenchon et qui alimente une politique d'images - notamment des selfies souriants avec des salariés de l'entreprise Whirlpool (Amiens) promise à la délocalisation en Pologne -, le leader de "la France en marche" est contraint de reprendre la main. Même s'il conserve de sérieuse chance de l'emporter au second tour, il va sans doute devoir montrer des signes d'élargissement. Sur sa droite et sur sa gauche. Ne serait-ce que pour s'assurer une majorité stable aux législatives... Après l'avoir emporté à la présidentielle.