"Décevante" et "ratée". Voilà comment les Français jugeaient la campagne présidentielle à la veille du débat qui a réuni cinq des onze candidats sur TF1, le 20 mars, pour une confrontation inédite. Jamais sous la Ve République, et a fortiori sous les précédentes, une telle joute n'avait été organisée avant le premier tour de la "mère des élections".
Selon une enquête Harris Interactive destinée à la Fondation pour l'innovation politique dirigée par Dominique Reynié, politologue et ex-conseiller régional (UDI), une majorité écrasante (88%) de Français se déclaraient "insatisfaits" par cette campagne : 86% la considérant donc "décevante" et 82% l'estimant "ratée".
"Le grand débat" télévisé du 20 mars a-t-il fondamentalement changé la donne ? Pas sûr ! Et pas à cause des médias, dont certains dirigeants politiques de droite pensent et répètent à l'envi qu'ils sont responsables de cet état de fait. Là encore, cette enquête leur apporte un démenti clair. Si la campagne n'est pas intéressante, disent les Français, la faute en revient plus aux candidats eux-mêmes (52%) qu'aux médias (29%).
La campagne de Fillon reste encalminée
Il faut dire, pour parler trivialement, que cette campagne est "un merdier inextricable !" Pour vulgaire qu'elle soit, cette sentence résume assez bien la situation à un mois du premier tour, le 23 avril. Alors que la victoire était promise à la droite, fin 2016, voilà celle-ci en passe d'être privée de second tour, en mars 2017. Et la gauche, tous candidats confondus, n'est pas beaucoup plus flambarde. Bien malin qui peut dire comment tout ça va tourner.
Depuis la révélation par "Le Canard enchaîné", le 25 janvier, de soupçons d'emplois familiaux présumés fictifs le concernant, François Fillon peine à sortir du magma dans lequel il est englué. Pendant près de deux mois - une éternité -, non seulement sa propre campagne est restée encalminée mais la campagne de tous les autres candidats est devenue quasi inaudible à cause de cette affaire. Une phénomène lui aussi inédit sous la Ve République. Et les "affaires" du Sarthois ne vont pas s'arranger avec les nouvelles révélations concernant sa société de conseils.
Selon le sondage quotidien en continu (rolling) réalisé par l'Ifop, l'ancien premier ministre a enregistré un décrochage dans les intentions de vote dès le début février : il est passé de 21%, le 1er du mois, à 17,5%, le 9 février. Pendant un mois, il a "ramé" pour regagner le terrain perdu. Alors qu'il avait fini par rejoindre Emmanuel Macron (19%), le 22 février, l'ancien ministre de l'économie de François Hollande est parvenu à le distancer, à nouveau, dès le 23, avec le ralliement de François Bayrou. Depuis cette date, l'écart entre Macron et Fillon oscille entre 2,5 points et 6,5 points. Il est stabilisé à un niveau encore plus élevé. Et Nicolas Dupont-Aignan commence à lui mordre les mollets à la fin mars.
Le Roux dépose la cerise sur le gâteau
A l'extrême droite, Marine Le Pen - donnée en tête des intentions de vote mais talonnée, voire dépassée par Macron dans certaines enquêtes - participe aussi à ce mouvement d'étouffement de la campagne présidentielle. Mise en cause pour des soupçons d'emplois fictifs d'assistants au Parlement européen, le présidente du Front national a polarisé l'attention en refusant de se rendre aux convocations judiciaires qui la concernaient. Si on y ajoute les présomptions de financement "original" du parti par la vente forcée aux candidats de kits de campagne dans de précédentes consultations, on obtient un cocktail qui rend impossible le déroulement serein de la présidentielle.
Sur la gauche de l'échiquier, la situation n'est pas beaucoup plus enviable. Aucune des deux candidatures concurrentes de Benoît Hamon (PS) et de Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) n'est vraiment parvenue à faire la différence depuis deux mois. Les deux hommes - éliminés au premier tour, selon les sondages actuels - sont longtemps restés au coude-à-coude jusqu'à ces derniers jours. Mais certaines études laissent percevoir un décrochage du premier. Hamon souffre-t-il, avec retard, d'une "fuite" d'une frange de l'électorat social-démocrate qui hésitait à rejoindre Macron dès après la primaire de gauche gagnée par un "frondeur" ?
Et voilà la cerise sur le gâteau. Pour couronner le tout, le ministre de l'intérieur annonce, le 21 mars, sa démission météoritique - comme son passage Place Beauvau -, en plein état d'urgence. Ce qui n'est pas tout à fait banal. Moins de 24 heures avant, on avait eu droit à la révélation de l'emploi de ses enfants, même quand ils étaient mineurs, comme assistants parlementaire entre 2009 et 2016. Le parquet national financier n'avait pas tardé à ouvrir une enquête préliminaire, au grand dam de la droite qui, préventivement, s'était gaussée d'une "justice à deux vitesses". Ce nouvel épisode ne va pas manquer de faire remonter à la surface le maintien de Fillon dans la course à l'Elysée malgré sa mise en examen. Pour la confrontation des projets, on repassera... Et l'opinion n'en peut mais !