Le talon d'Achille d'Emmanuel Macron est-il son électorat ?

Emmanuel Macron à Alger, le 13 février 2017 (STRINGER / AFP)

Son électorat lui sera-t-il fatal ? Emmanuel Macron réussira-t-il à conserver, voire à élargir, son potentiel électoral jusqu'au bout ? C'est-à-dire jusqu'au "tour de chauffe" de l'élection présidentielle, le 23 avril. Dauphin de Marine Le Pen dans les sondages d'intentions de vote du premier tour de tous les instituts en février - François Fillon occupait cette position dans toutes les enquêtes du mois précédent, sauf celle d'Elabe des 30 et 31 janvier - et donné vainqueur face à la candidate d'extrême droite au second, Macron semble souffrir d'un handicap visible en filigrane : la fragilité de son électorat. Illusion ou réalité ?

D'abord, c'est quoi son électorat ? Une étude détaillée de Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et Stratégies d'entreprises de l'Ifop, coupe les ailes de certaines idées reçues. Et entretenues à dessein, par les adversaires politiques de l'ancien ministre de l'économie de François Hollande. De droite, de gauche et de leurs extrêmes. La plus répandue est que Macron serait le réceptacle d'un vote générationnel. Agé de 39 ans - il aura 40 ans le 21 décembre -, l'ex-ministre a certes une équipe presqu'exclusivement composée de trentenaires et de quarantenaires, mais son électorat est assez homogène.

"L'attraction qu'il exerce est aussi forte dans toutes les générations", note Fourquet. Crédité de 22% chez les moins de 35 ans, il est au même étiage chez les 65 ans et plus. Entre les deux (35 à 64 ans), il fait à peine moins : 19%. A contrario, une enquête Harris Interactive pour "L'Emission politique" de France 2 lui donne des intentions de vote montant jusqu'à 30% chez les 18-24 ans contre 18% chez les 65 ans et plus. Si ce n'est pas l'âge, selon l'Ifop, qui le différencie, est-ce la sociologie ? Volontiers décrit comme "l'incarnation des classes privilégiées et des élites", celui qui fut banquier d'affaires chez Rothschild pendant deux ans obtient son meilleur score (26%) chez les cadres supérieurs et les professions intellectuelles. Soit à égalité avec Fillon (25%). Encore faut-il ajouter qu'il est exactement au même niveau dans les professions intermédiaires qui forment "le coeur de la classe moyenne".

Même niveau que Mélenchon dans les catégories populaires

Il n'en demeure pas moins qu'il n'est pas du tout au même niveau dans les catégories populaires : 9% chez les ouvriers et 17% chez les employés, ce qui fait un score global de 14%. Donc très loin derrière Le Pen fille mais comparable à celui de... Mélenchon qui, lui aussi, réalise 14% ! Hamon est à 18% tandis que Fillon ne totalise que 8%. Cette répartition des soutiens de Macron n'en fait "pas totalement", souligne l'analyste de l'Ifop, le candidat de "la France d'en haut". Une illustration en est donnée à travers le dernier sondage d'intentions de vote réalisé par Ipsos et le Cevipof pour le journal "Le Monde". Dans les Hauts-de-France, région a forte implantation populaire s'il en est, la candidate d'extrême droite est donnée à 35%, Macron à 22%, Fillon à 14,5%, Hamon et Mélenchon à 12%.

S'il n'y pas de vote Macron générationnel et si la fracture sociologique est à nuancer, il reste alors un autre paramètre : le niveau de diplôme. Comme pour Hamon et pour Fillon mais de façon moins évidente, les intentions de vote en faveur de l'ancien inspecteur des finances se structurent fortement autour de cette donnée. Et de façon quasi-symétrique à l'architecture du vote en faveur de Le Pen. C'est-à-dire que parmi les diplômés jusqu'au niveau du bac, la présidente du Front national fait plus de 30% et Macron, la moitié, alors qu'au-dessus du bac, le rapport s'inverse jusqu'à atteindre 29% pour l'ex-ministre et 12% pour Le Pen chez les personnes interrogées qui ont un diplôme supérieur à bac + 2.

"Ce nouveau clivage est extrêmement puissant", assure Fourquet. Il a été observé dans le vote du Brexit, lors de l'élection présidentielle autrichienne qui opposait un écologiste à un candidat d'extrême droite, et de façon moins marquée, en raison de l'importance de "l'appartenance ethnique", lors de l'élection de Trump à la Maison-Blanche. Il tend à se substituer, selon l'analyste, au traditionnel clivage gauche-droite qui structure la vie politique française depuis plus de siècle. Il n'est pas indifférent que les deux candidats se réclamant de ce dépassement aient les faveurs des électeurs. Pour l'instant !

Curiosité bienveillante plutôt qu'adhésion de conviction

Pour l'instant... car les détracteurs de Macron espèrent bien que ces faveurs vont changer de camp. A vrai dire, ils sont même persuadés que cela va se produire. Pour eux, l'ancien conseiller de Hollande, qui s'est hissé dans le Top 3 des présidentiables en quelques mois, est une "baudruche", voire une "supercherie politique qui a été fabriquée par les médias" dont il est le "chouchou". Donc, il va se dégonfler, affirment-ils, d'autant qu'il n'a pas de programme. Fermez le ban ! De fait, Macron a mangé son pain blanc et les choses sérieuses vont commencer car il va être maintenant sous le feu de l'actualité... et celui de ses nombreux adversaires.

Et c'est là qu'on va voir si son électorat résiste aux coups de boutoir de l'adversaire. Macron apparaît, pour le moment, comme un "candidat attrape-tout". Ses diverses déclarations sur le colonialisme, sur la PMA (procréation médicalement assistée), sur les partisans de la Manif pour tous, etc. montrent qu'il tente de séduire des publics contradictoires. Cette volonté de prouver son ouverture d'esprit, si c'est de ça qu'il s'agit, peut avoir malgré tout, à terme, un prix à payer. Car une partie de son électorat potentiel est plus dans "le registre de la curiosité bienveillante que dans celui de l'adhésion de conviction", selon la formule acérée d'un analyste.

De fait, la part des électeurs sûrs de leur choix en sa faveur (c'est-à-dire qui ne sont pas susceptibles de changer de cheval) est plus faible que pour tous les autres candidats, Bayrou exclu. Selon les différents instituts de sondage et selon le moment, ce taux oscille entre 35% et 50% pour Macron alors qu'il est compris entre 75% et 80% pour Le Pen. Mélenchon et Hamon ont des électorats plus solidement ancrés que Macron tandis que Fillon, malgré les affaires qui plombent sa campagne, reste à un niveau élevé. L'aspect "friable" de l'électorat macroniste vient sans doute, aussi, de l'absence d'enracinement d'un mouvement - "En Marche" - extrêmement jeune regroupant beaucoup de gens sans expérience politique. C'est à partir de maintenant que ça va se solidifier. Ou pas. Si son potentiel haut est à 33%, selon BVA, son potentiel bas se situe à... 9% !

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu