François Fillon peut-il encore s'imposer dans la présidentielle ?

François Fillon à un débat avec des entrepreneurs à Paris, le 31 janvier 2017. (THOMAS SAMSON / AFP)

Arx tarpeia Capitoli proxima...  "La roche Tarpéienne est proche du Capitole". Jamais cette locution latine n'aura été d'une telle actualité dans une élection présidentielle sous la Ve République. Jamais la chute - l'exécution du haut de la roche Tarpéienne, en l'espèce, chez les Romains - n'aura été aussi voisine des honneurs espérés du Capitole. De l'Elysée, en la circonstance. Chaque semaine, les soutiens de François Fillon se demandent, révélations du "Canard enchaîné" suivies par celles d'autres médias aidant, si leur champion est promis à la roche Tarpéienne ou bien au Capitole. A dire le vrai, l'opinion penche de plus en plus, jour après jour, pour la première destination plutôt que pour la seconde !

En l'espace de deux mois très exactement, la campagne de l'élection présidentielle s'est transformée en chamboule-tout intégral. Le 20 novembre 2016, Fillon écrasait le premier tour de la primaire de droite... après avoir été donné largement dominé, pendant des mois et des mois, par Alain Juppé. Une semaine après, celui qui avait été "Le Petit Chose" de  Nicolas Sarkozy pendant cinq années prenait sa revanche : il rameutait sur son nom deux électeurs sur trois et il écartait définitivement de son chemin présidentiel les deux têtes de gondole de la droite. Plus rien ne pouvait l'arrêter.

D'autant que quelques jours plus tard, un nouveau séisme secouait la sphère politique. A gauche, cette fois. Le président de la République annonçait qu'il ne briguerait pas un second mandat. Il faut dire que ses chances de réussite étaient alors des plus réduites, après un quinquennat assez illisible politiquement, catastrophique sur le plan électoral et en grande partie infructueux dans le domaine programmatique. Ajoutons que les "frondeurs" socialistes ont tout fait pour empêcher le développement de cette hypothèse. François Hollande quittait le jeu, après Sarkozy, Juppé et même Cécile Duflot, la cheffe de file verte éliminée auparavant, elle aussi, dans la primaire écolo.

Une vague attaque son image de plein fouet...

Le troisième "coup de Trafalgar" allait intervenir neuf semaines après le second tour de la primaire de droite. A gauche, le second tour de la pré-présidentielle (29 janvier 2017) confirmait la suprématie de Benoît Hamon observée le dimanche précédent, non seulement dans le camp des "frondeurs" mais sur l'ensemble de l'électorat qui s'était déplacé dans les bureaux de vote  : il renvoyait dans les cordes un Manuel Valls que les sondages, pourtant, avaient donné gagnant pendant des semaines, depuis le renoncement de Hollande. Comme pour Fillon, la percée de l'éphémère ministre de l'éducation nationale ne s'était faite que dans la toute dernière ligne droite.

Les enquêtes d'opinion sur les intentions de vote à la présidentielle, en janvier comme en décembre, étaient unanimes. Si Marine Le Pen était donnée en tête au premier tour par tous les instituts de sondage, elle était promise à une défaite au second round face à Fillon qui l'emportait haut la main. Mais ça, c'était avant... Avant que ne tombe l'édition du "Canard enchaîné" du 25 janvier. Et la descente aux enfers a commencé. A trois mois du premier tour de le "mère des élections" (23 avril), l'hebdomadaire satirique révèle que l'épouse de l'ancien premier ministre a été son assistante parlementaire, assez discrète mais très bien payée, pendant plusieurs années et qu'elle a cumulé deux emplois à plein temps pendant plusieurs mois. Le tout enrobé dans des sous-entendus d'emplois fictifs présumés et de renvoi d'ascenseur.

Force est de constater que Fillon ne parvient pas, jusqu'ici, à endiguer cette vague qui attaque de plein fouet l'image qu'il cultive depuis des années au point d'en faire, volontairement, son identité politique. A tort ou à raison, sa rectitude, sa droiture, son honnêteté, son intégrité sont battues en brèche par une opinion publique qui adhère plus que modérément à ses tentatives maladroites d'explications. Au point qu'on se demande comment il est possible qu'un homme aspirant aux plus hautes fonctions ait une communication et une défense aussi mal préparées. Aussi mal organisées. Et aussi mal orchestrées. Contrairement à une brochettes d'éditorialistes en vue qui ont décelé une réussite dans sa "conférence de presse-vérité" du 6 février, l'écrasante majorité de l'opinion, si l'on en croit les sondages, n'est convaincue ni par ses "éclaircissements" ni par ses excuses. D'autant que ses avocats remettent en cause les procédures en cours.

... Mais son socle est plus solide que celui de Macron

A cette aune, le candidat de la droite peut-il remonter la pente et s'imposer dans la présidentielle, c'est-à-dire être présent au second tour avec un espoir de l'emporter ? Objectivement, les données de la situation actuelle ne lui sont pas très favorables. Une observation minutieuse de la vie politique antérieure permet de remarquer que le basculement en faveur de Jacques Chirac au détriment d'Edouard Balladur s'était produit au même instant - la soudure janvier-février - de la campagne présidentielle de 1995. Et Balladur n'avait jamais pu revenir. C'est précisément maintenant que les décisions de vote commencent à se cristalliser. Pour autant, cette campagne est tellement atypique qu'il ne faut écarter aucun nouveau retournement.

Même si Fillon peut être l'objet du "dégagisme" que prône Jean-Luc Mélenchon à l'égard des toutes les têtes d'affiche de droite et de gauche à travers son slogan "Dégagez les tous", dont il risque d'être lui aussi la victime, il n'en demeure pas moins que le Sarthois possède encore dans la manche quelques atouts pour contrecarrer le destin funeste qui lui est promis aujourd'hui. Malgré son rétrécissement, sa base quantitative n'est pas encore trop éloignée de celle d'Emmanuel Macron (sondage OpinionWay du 10 février, par exemple, mais l'écart est plus important pour d'autres instituts), qui lui a ravi la deuxième place dans les intentions de vote. Mieux encore son socle électoral est plus large et plus solide que celui du leader du mouvement "En Marche" : ses électeurs sont sûrs de voter pour lui à 72% alors que ceux de Macron n'ont cette certitude qu'à 50% (sondage Elabe du 8 février).

S'il peut compter sur un éparpillement de l'électorat de gauche - un accord électoral pour les législatives est envisageable entre le PS et les écologistes mais une fusion Hamon-Mélenchon n'est pas à l'ordre du jour avant le premier tour - qui le met à l'abri, jusqu'à aujourd'hui, du retour dans le jeu ultime de l'un de ces deux candidats, Fillon a toutes les raisons de se méfier des faiblesses supposées de Macron qui, au bout du compte, pourraient se retourner en force de frappe destructrice. En effet, l'institut BVA a évalué les potentiels bas et haut (en intentions de vote) de chacun des candidats. Si l'ex-chef du gouvernement de Sarkozy oscille entre 8% et 23%, l'ancien ministre de l'économie de Hollande navigue, lui, entre 9% et 33%, soit un "potentiel haut" plus élevé que celui de Le Pen fille (29%). Et cette inconnue est d'autant plus inquiétante pour Fillon que les instituts de sondage ne disposent d'aucun paramètre de redressement du vote Macron car il ne s'est présenté à aucune élection dans le passé. Pas plus que son mouvement "En Marche". On avance donc dans le brouillard ! Un brouillard qui peut être meurtrier le soir du 23 avril.

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu