De Chaban à Pénélope, la droite collectionne "boules puantes" et "coups tordus"

A gauche, Jacques Chaban-Delmas (photo Assemblée nationale, 1980), à droite, Pénélope Fillon (EPA / MAXPPP)

Il y a une certaine continuité dans la famille néogaulliste. Depuis plusieurs décennies, les querelles politiques internes à droite se règlent sur la place publique, à coup de scandales médiatiques. Dans ce domaine, les successeurs des "compagnons" - appellation labellisée issue de la "France libre" du général de Gaulle - n'y vont pas avec le dos de la cuillère. Même s'il est difficile de dire d'où est parti le boulet qui, aujourd'hui, atteint François Fillon, il y a quand même quelques précédents fâcheux.

La partie émergée de l'affaire fait apparaître une source - "Le Canard enchaîné" - qui a dévoilé l'emploi ancien de Pénélope Fillon, l'épouse de l'ex-premier ministre et candidat de la droite à la présidentielle, comme attachée parlementaire familiale - plutôt invisible, selon l'hebdo satirique - et collaboratrice - plutôt virtuelle, toujours selon "Le Canard" - de la "Revue des deux mondes", publication appartenant à Marc Ladreit de Lacharrière, un ami proche de... Fillon.

Mais sans remettre en cause, bien sûr, le talent des investigateurs du "Canard", on ne peut guère douter que sous la partie visible du "scoop", il y en a une autre, immergée celle-là. Donc, invisible aux yeux de l'opinion. Sans dévoiler des secrets de Polichinelle et en se fondant sur l'expérience, fut-elle modeste dans ce domaine, il est possible de dire que l'art de l'investigation ne dédaigne pas les coups de pouce du destin... Comme le doigt qui indique négligemment le chemin ou la main qui aide à ouvrir la porte.

L'avoir fiscal qui brisa l'élan du premier ministre

Depuis un demi-siècle, les gaullistes ont excellé pour s'abattre entre eux quand un "compagnon" gênait l'ascension d'un autre. Sans aller jusqu'aux sombres énigmes de la Ve République où le verbe "abattre" a été pris au pied de la lettre - le suicide controversé du ministre Robert Boulin, en 1979, ou la tuerie d'Auriol (Bouches-du-Rhône), en 1981, qui impliquait des barbouzes du SAC, une milice gaulliste -, l'histoire de la droite est émaillée de jets de "boules puantes", de "crocs en jambe" et de "coups tordus".

Qui se souvient encore de "l'affaire" de l'avoir fiscal de Jacques Chaban-Delmas ? En 1971, "Chaban", maire de Bordeaux et gaulliste de la première heure - à la Libération, il est le plus jeune général (24 ans) depuis la Révolution - est installé à Matignon, depuis 1969, en qualité de premier ministre du président Pompidou. Au mois de novembre, "Le Canard enchaîné" révèle que le montant de ses impôts n'est pas tout fait en rapport avec l'épaisseur de ses revenus. Scandale. En janvier 1972, l'hebdo en remet une louche : Chaban n'a pas du tout payé d'impôts entre 1966 et 1969.

Même si tout cela est parfaitement légal grâce à une disposition législative - l'avoir fiscal - datant de 1965, le chef du gouvernement ne s'en remettra pas. Il faut dire que cette affaire de gros sous en cache une autre, beaucoup plus politique. Chaban est l'artisan de la "Nouvelle société", un projet progressiste qui ne suscite pas l'enthousiasme des conseillers du chef de l'Etat, Marie-France Garaud et Pierre Juillet. Quelques mois après l'avoir fiscal, "Charmant-Delmas", comme l'appelle "Le Canard" est remercié par Pompidou... et sa "Nouvelle société" est enterrée !

De l'auto-stop de Balladur aux terrains de Bernadette

Deux ans plus tard, en 1974, à la mort prématurée du président de la République, le tandem Garaud-Juillet, éminence grise de Jacques Chirac, pilotera le torpillage de la candidature présidentielle de Chaban. Chirac et 43 parlementaires UDR (ancêtre du parti "Les Républicains) se rallient à Valéry Giscard d'Estaing. Considérée comme une "trahison" par les "chabanistes", l'opération est couronnée de succès : "VGE" élu, Chirac devient son premier ministre... pendant deux ans.

Vingt ans après, rebelote. Cette fois, la salve va en sens inverse. Après douze ans de mitterrandisme élyséen, l'élection présidentielle de 1995 est l'objet d'un duel fratricide au sein de la famille néogaulliste, entre Chirac et Edouard Balladur. Les deux camps se rendent coup pour coup. Et quelques "boules puantes" agrémentent la confrontation. Chez les chiraquiens, François Baroin, porte-parole du candidat, popularise l'histoire rocambolesque du tour en auto-stop de Balladur pour démolir l'image du premier ministre que le caricaturiste du "Monde" représente dans une chaise à porteurs.

Mais le coup le plus dur vise Chirac. Et plus précisément son épouse, Bernadette. A quelques semaines de l'élection présidentielle. Tiens, tiens... Toute ressemblance avec l'affaire Pénélope Fillon serait purement fortuite. La presse, le journal "Le Monde" en l'espèce, révèle que la famille Chaudron de Courcel, celle de Bernadette Chirac, a réalisé une confortable plus-value en francs sur la vente alambiquée de terrains familiaux à la société du port autonome de Paris. Rien d'illégal là-dedans. Mais l'image de Chirac, qui fait campagne sur le thème de la "fracture sociale" est égratignée. A cette époque, les balladuriens peuplent le ministère du budget...

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu