Une vraie douche froide ! A de très rares exception près, tous les instituts de sondages américains avaient donné, depuis des mois, la victoire électorale à Hillary Clinton. La plupart des médias avait emboîté le pas. Outre-Atlantique et en France. Comme dans le reste du monde. Les analystes et les commentateurs, à l'aide d'études très fines et argumentées, avaient conclu à l'impossibilité de voir Donald Trump l'emporter. Et c'est pourtant lui qui est "sacré" 45e président des Etats-Unis.
Une douche froide... et un fiasco général. Il est donc de bon ton, au lendemain de ce 8 novembre 2016, aussi incroyable qu'historique, de tomber à bras raccourcis sur les sondeurs, sur la presse, sur les responsables politiques. Sur les "élites", quoi ! Tous des incapables, voire des truqueurs, qui ne comprennent rien aux aspirations du "peuple" car ils sont tous formatés dans le même moule de la "pensée unique". Voilà, en un résumé à peine exagéré, l'acte d'accusation.
Et ce qui vaut pour l'Amérique clintonienne, on s'en doute, est tout aussi valable pour la France de la "pensée unique". Sans se forcer, il suffit de faire une transposition sur les prochaines échéances électorales que va connaître le pays pour comprendre que les sondages proposés à la lecture de l'opinion vont être, et sont même déjà, dans le collimateur des partisans de la leçon trumpiste à administrer aux élites aveugles, mondialisées et européistes.
Favoriser "le chouchou du monde politico-médiatique"
Qu'il s'agisse de la primaire de la droite ou de l'élection présidentielle de 2017, les enquêtes réalisées pour ces deux scrutins ne peuvent être que biaisés aux yeux d'une partie des acteurs concernés. En tout cas, elles ne peuvent en aucun cas, selon eux, refléter la réalité. Car celle-ci passerait hors de portée des radars des instituts, des experts et des commentateurs. Ceux-ci n'auraient qu'un but : perpétuer l'ordre établi. Presque un complot, quoi !
Les sondages qui relèguent Nicolas Sarkozy à la deuxième place de la primaire, au premier tour, et battu au second, ne seraient qu'une mauvaise blague. Idem pour François Fillon éliminé dès le 20 novembre. Et pour Marine Le Pen aussi, bien sûr. Donnée gagnante du premier tour en 2017, elle serait battue au second car le "système" n'aurait qu'une idée en tête : favoriser celui que Nadine Morano baptise "le chouchou du monde politico-médiatique", Alain Juppé.
A vrai dire, le résultat de la présidentielle américaine de ce mois de novembre, après le vote des Britanniques en faveur du Brexit (sortie de l'Union européenne) en juin dernier, ne peut qu'apporter de l'eau au moulin des "déconstructeurs" de sondages. Dans les deux cas, les "prédictions" - les sondeurs prennent toujours soin de dire que leurs enquêtes ne sont justement pas des "prédictions" - et les "prédicateurs" qui les relaient se sont lourdement trompés. Faute de prises sur la réalité, avancent tous les détracteurs.
Or donc, si on regarde cette réalité en face, les sondages ne voient pas que Sarkozy est le plus "cash" - si l'on ose dire - avec le peuple de droite. Ils ignorent qu'il est celui qui parle le mieux au noyau dur des militants de son parti, "Les Républicains". Ils passent sous silence que la popularité de Fillon remonte à la vitesse grand V. Bref, les spécialistes de l'opinion publique se voient reprocher de cacher des faits... que leurs enquêtes mettent précisément en évidence.
La participation, facteur déterminant et non maitrisable
Les sondages notent bien que Sarkozy est en tête chez les sympathisants du parti, ils ont repéré que la cote de popularité de l'ancien président et de son ex-premier ministre, Fillon, a progressé depuis le deuxième débat de la primaire. Qu'a cela ne tienne, les partisans de l'un et de l'autre répètent, en boucle, que les sondages se plantent. Qu'ils veulent installer dans la tête des électeurs un second tour virtuel et décidé à l'avance.
La fragilité des études sur cette primaire repose, en fait, sur deux facteurs que ne savent pas maitriser les instituts de sondages. D'abord, c'est la première fois que la droite organise un telle consultation. Comme pour la primaire de gauche, en 2011, il n'y a pas de précédent permettant de s'appuyer sur un scrutin de référence. Ensuite, les experts sont incapables, en raison du facteur précédent, d'avancer avec précision un taux de participation estimé du scrutin. Et c'est justement là que le bât blesse. Car de lui dépend, très largement, l'issue de la consultation.
Une faible participation attirant les seuls militants les plus engagés - cela correspond à la stratégie développée depuis plusieurs semaine par Sarkozy - favoriserait l'ancien chef de l'Etat. Au contraire, une large participation serait réputée "travailler" pour Juppé, en élargissant l'assise électorale aux centristes et à une frange de la gauche. Il se trouve, en même temps, que ce sont ces électeurs là qui se disent les moins concernés. Alors que les plus déterminés se disent sûrs de leur choix en faveur de Sarkozy... ou de Fillon. Dur, dur pour les sondeurs !