Il lui reste quelques semaines pour convaincre. François Fillon y croit encore. Ou bien, il feint d'y croire. "Oui, je suis convaincu que je peux me qualifier au second tour de la primaire", assure l'ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy. "Je vais casser la baraque !", vient-il encore de répéter. Une formule qu'il avait lancée dans Le Journal du Dimanche, en avril... Il y a six mois.
Mais en six mois, rien ne s'est passé. La baraque est toujours debout. Fillon n'a pas beaucoup fait bouger les lignes. Sondage après sondage, le duel annoncé au second tour, le 27 novembre - le premier a lieu le 20 novembre -, ne le concerne pas vraiment. Au mieux, les enquêtes d'opinion font de lui le "Montebourg de la droite", un candidat pour la troisième place. Pas qualifié pour la finale mais d'un poids déterminant dans le tour ultime.
Ses partisans, bien sûr, pensent que tout va se jouer maintenant. En une poignée de semaines. Les dernières de la campagne de la pré-présidentielle de la droite. Ils affirment que leur champion a été le meilleur et le plus convaincant lors du premier débat télévisé entre les sept prétendants. Candidat "quoi qu'il arrive" depuis 2013, Fillon est sans doute le mieux préparé mais il est aussi celui qui ne décolle pas depuis des mois et des mois.
Une "anomalie politique" difficilement compréhensible
L'effondrement espéré de Sarkozy ne s'est pas produit. Il n'y a donc pas eu de phénomène de vases communicants pouvant bénéficier à Fillon. Il a peut-être pensé que l'impopularité dont est frappé l'ancien chef de l'Etat dans l'opinion allait finalement "booster" sa propre popularité. Comme ce fut le cas pendant une bonne partie du quinquennat dont ils furent les deux acteurs principaux. Au point que certains de ses amis le poussèrent à se présenter dès 2012.
Dès lors peut-on en conclure qu'il y a un mystère Fillon ? Une énigme dans laquelle ni la loyauté ni le travail ne seraient récompensés cinq ans après ! Pour parler franchement, il n'y a pas vraiment de mystère ou d'énigme. D'abord parce que popularité et intentions de vote sont des notions différentes. Ensuite parce que Sarkozy exerce une véritable fascination sur une large partie de l'électorat de droite. Enfin parce que Fillon est une "anomalie politique" difficilement compréhensible.
Il est une sorte de personnage Lego dont certaines pièces ne parviennent pas à s'emboîter les unes dans les autres. Lui qui se revendique du gaullisme social cher à son défunt mentor, Philippe Séguin, défend un programme économique ultra-libéral que n'aurait pas renié Margaret Thatcher. C'est un peu difficile à suivre pour l'électeur moyen tant les deux termes de l'équation sont situés aux antipodes l'un de l'autre. Autant dire que sa lisibilité en prend un coup.
Interrogés par ce blog, plusieurs politologues et spécialistes des sondages d'opinion affinent ce constat d'un candidat qui demeure flou au yeux du public et qui n'a jamais véritablement trouvé sa bonne place dans la primaire. Alors qu'il disposait d'un capital considérable à la fin de son bail à Matignon, en 2012, il donne l'impression ne n'en avoir tiré aucun profit. Et même de l'avoir dilapidé ou de s'en être fait déposséder, sans même opposer de résistance endurante.
"Quand le train est parti, on ne peut plus monter dedans"
Au-delà de son positionnement politique hasardeux qui met en évidence "un manque de cohérence rattaché à sa personne et à son parcours", selon Yves-Marie Cann, directeur des études politiques de l'institut de sondage Elabe, Fillon "n'a pas d'espace spécifique" car "son marché est capté par des candidats mieux placés que lui" sur des créneaux qu'il revendique ou qu'il pourrait revendiquer, ajoute Emmanuel Rivière, directeur du pôle politique de Kantar TNS-Sofres.
Il en est ainsi de la détermination et du volontarisme qui sont entièrement phagocytés par Sarkozy; le rôle de "père de la nation" qui est occupé par Juppé; le modernisme, le renouvellement et la nouveauté qui sont l'apanage de Le Maire. Fillon a beau apparaître, à juste titre, comme un homme sérieux, voire suscitant la sympathie, il est, dans l'esprit de l'opinion, un second choix. Certes de qualité mais second quand même.
D'autant que pour Gaël Sliman, président de l'institut de sondage Odoxa, "il s'est refusé à monter dans tous les trains qui sont passés devant lui". A la fin 2012, il est "le Juppé de la droite", Sarkozy n'est plus dans le jeu et la droite se cherche un nouveau héros : il va louper le coche une première fois. La désastreuse bataille avec Copé pour la présidence de l'UMP qui se solde par la création sans lendemain d'un groupe dissident à l'Assemblée nationale le laisse encore sur le quai. Plus tard, il tergiverse sur une possible candidature à la Mairie de Paris : il donne des "signaux d'indécision" à la manière de Martine Aubry.
"Quand le train est parti, on ne peut plus monter dedans", remarque justement le politologue d'Odoxa. Résultat, "il n'a pas eu son moment de gloire médiatique", renchérit Emmanuel Rivière (Sofres). Et Yves-Marie Cann (Elabe) de conclure que Fillon "n'a jamais posé d'actes lourds" face à Sarkozy quand il était à Matignon. Ni face à ses concurrents dans la primaire de la droite. Il ne lui reste guère de temps pour le faire... et pour vraiment "casser la baraque".