L'affaire n'est ni anodine ni anecdotique. "Les Républicains" ont été pris d'un coup de chaud pendant le pont de l'Ascension. En cause : la décision du bureau politique (BP), prise à l'initiative de Nicolas Sarkozy, de priver de vote électronique les Français installés à l'étranger qui souhaiteraient participer à la primaire présidentielle de la droite, les 20 et 27 novembre. Le changement de pied du président du parti - il s'était prononcé en sens inverse, en mars, devant les représentants de ces expatriés, assure l'un d'entre eux - a provoqué une levée de bouclier de... quasiment tous les candidats.
Apparemment non inscrit à l'ordre du jour de la réunion du BP, le 3 mai, le vote voulu par Sarkozy après un exposé de Thierry Solère, député (LR, Hauts-de-Seine) chargé de l'organisation de cette consultation pré-présidentielle... et favorable au vote des expats par Internet, s'est déroulé en l'absence des principaux candidats. Les uns étaient sur des plateaux de télévision, les autres en meeting. Par 43 voix sur 47 présents - le BP compte 116 membres -, le vote électronique des Français de l'étranger a été rejeté.
En droit pur, la volonté d'imposer un vote papier à tout le monde peut se défendre. Les juristes pourraient faire valoir qu'ouvrir la possibilité du vote électronique aux uns sans la proposer aux autres provoquerait une "rupture d'égalité" entre les électeurs. Sauf que, bien évidemment, l'affaire n'est pas que juridique. Les partisans de cette consultation par Internet rétorquent même - en creux - que cette affaire est éminemment et avant tout politique. D'abord au sens noble du terme car elle ne prend pas en compte les moyens modernes de participation à la vie de la cité.
Le cliché du "mec de la Somme" contre le "golden boy"
Et derrière le sens noble, il y a les intérêts personnels. Sur ce terrain, on ne peut pas dire que Sarkozy cache beaucoup son jeu. "Je ne vois pas au nom de quoi un mec de la Somme devrait faire 40 kilomètres pour aller voter, a ainsi dit l'ancien président de la République devant le BP, alors que pour un golden boy, ce serait aussi facile." Dans cette phrase ciselée, tous les mots - les lieux et les professions - ont été choisis à dessein. Le "mec de la Somme", militant de base qui sent bon le terroir et le contribuable soumis à la pression fiscale, s'oppose au "golden boy", expatrié fortuné qui ne paie pas d'impôts en France et mène la belle vie au soleil. Genre cliché, c'est réussi !
A l'évidence, le président des "Républicains" souhaite faire savoir aux intéressés qu'il s'intéresse d'abord et cultive en priorité le noyau dur du parti. Sachant que le gisement des "bonnes opinions" en sa faveur se concentre maintenant - mais il s'épuise quand même là aussi - au coeur de sa famille politique et que celles-ci diminuent de façon vertigineuse à sa périphérie, Sarkozy a pris l'option de labourer sans cesse ce terrain. Pour s'assurer une base solide comme une sorte d'"assurance survie" dans les sondages. Sa candidature n'étant pas déclarée, il cherche par ce biais à rester à flot.
Mais au-delà de cet aspect tactique, l'ancien chef de l'Etat tente, via les préparatifs de la primaire, de rétablir son autorité sur la droite. Celle-ci a disparu avec son échec à la présidentielle de 2012. Alors qu'il s'était imposé sur ce côté de l'échiquier, à la fin 2004, en annonçant sa candidature à la présidentielle de 2007 et en prenant, sabre au clair, la présidence de l'UMP avec plus de 85% des suffrages, Sarkozy a perdu son aura après huit années d'un règne sans partage. Il pensait sans doute que sa "re-conquête" du principal parti de l'opposition parlementaire, dix ans après sa première victoire, allait le remettre en selle pour un nouveau tour de manège. Las, le bulldozer n'a pas réussi à faire table rase de son opposition interne.
Le vote des expatriés provoque de nouvelles turbulences
Sarkozy n'a repris l'UMP qu'avec 64,5% des voix, Bruno Le Maire s'étant mis en travers de son chemin (29,2%). Puis, il n'est pas parvenu à hisser son parti devenu "Les Républicains" comme première force d'opposition aux socialistes dans les élections intermédiaires : le Front national de Marine Le Pen lui a damer le pion. Enfin, Alain Juppé n'a cessé de le devancer dans les sondages sur les intentions de vote à la primaire de droite, jusqu'à le dominer assez largement. A aucun moment donc, depuis la fin 2014 qui a marqué son retour sur la scène, il n'a réussi à redevenir le chef incontestable et incontesté qu'il était auparavant. Bien au contraire, il est très contesté.
Cette histoire du vote des Français de l'étranger était donc une occasion à ne pas rater pour tenter d'installer à nouveau son leadership sur le parti. Surtout en l'absence de ses principaux adversaires, Juppé, Fillon et Le Maire. Cette absence est du reste exploitée, en filigrane, sur les réseaux sociaux par les fans de Sarkozy sur le thème "les absents ont toujours tort". Le président des "Républicains" ne s'y serait pas pris autrement s'il avait voulu mettre en évidence le peu d'intérêt que le trio des opposants porte, selon lui, à la vie du parti puisqu'il n'assiste pas aux réunions cruciales de ses instances.
Déjà traumatisés par la guerre Fillon-Copé lors du fiasco de l'élection pour la présidence de l'UMP, fin 2012, chahutés par les changements de règles d'organisation de la primaire et minés par des rivalités internes tenaces, "Les Républicains" entrent à nouveau dans un phase de turbulences. D'autant que les opposants à Sarkozy n'ont pas l'intention de faire passer l'affaire de l'enterrement du vote électronique des expatriés par pertes et profits. Ils ont le soutien de la "Haute autorité" de l'organisation des primaires . L'occasion est trop belle pour eux - chacun son tour - d'envoyer le président du parti dans les cordes !