"Choisir la date du 19 mars, c'est entretenir la guerre des mémoires". C'est par ces mots extrêmement violents que Nicolas Sarkozy a décidé de lancer une polémique contre François Hollande. L'ancien chef de l'Etat reprochait à son successeur, dans une tribune publiée par Le Figaro du 17 mars, de commémorer la fin "officielle" de la guerre d'Algérie, en 1962.
Le 18 mars 1962, la France et le FLN (Front de libération national) avaient signé, à l'hôtel du parc d'Evian (Haute-Savoie), une "Déclaration générale" censée mettre fin à un conflit qui durait depuis sept ans et demi. Les deux délégations étaient respectivement conduites, depuis le 7 mars, par Louis Joxe - ministre du gouvernement Debré -, et Krim Belkacem.
Le texte en 11 articles de cet "Accord de cessez-le-feu en Algérie" avait été publié au Journal officiel du 20 mars. Il avait mis fin aux hostilités, la veille, à midi. Le général de Gaulle fermait, pensait-il probablement sans trop d'illusions, une chapitre sanglant de l'histoire de la décolonisation faite, alternativement, d'espoir et d'incompréhension pour les Français d'Algérie.
La fin de 132 ans de présence française en Algérie
Quelques jours plus tard, ces "Accords d'Evian" avaient fait l'objet d'un référendum en France métropolitaine, les électeurs des départements algériens n'étant pas conviés à sa prononcer. Avec près de 91%, le "oui" apportait le soutien "franc et massif" que le fondateur de la Ve République attendait. C'en était fini de 132 ans de présence française en Algérie (1830-1962)... mais les massacres et les règlements de compte allaient se poursuivre.
Cette période n'est pas, en effet, la page la plus glorieuse de l'histoire du gaullisme. Laissés à l'abandon, les harkis (supplétifs algériens de l'armée française) furent la cible d'exactions meurtrières de la part des indépendantistes du FLN, après le 19 mars. Sur l'autre bord, les jusqu'aux-boutistes de l'OAS (Organisation de l'armée secrète, activistes "Algérie française") ne se résignèrent pas, jusqu'en métropole, multipliant les assassinats et les attentats.
L'indépendance de l'Algérie allait entraîner une vague d'émigration en métropole de Français installés dans l'ancienne colonie, parfois depuis plusieurs générations, ainsi que de harkis qui avaient réussi à "sauver leur peau" avec celle de leur famille. Le moins que l'on puisse dire est que l'accueil qui leur fut réservé eut un caractère assez mitigé. En retour, cette population n'a jamais nourri des sentiments très chaleureux à l'égard du "général" et de ses continuateurs.
A l'évidence, la gauche, la droite et l'extrême droite n'abordent pas le 19 mars de la même manière car elles ne veulent pas lui faire dire la même chose. La décision de Hollande de commémorer les victimes civiles et militaires de cette guerre d'Algérie, à cette date, ne pouvait qu'être critiquée par une partie des associations d'anciens combattants et de harkis et le Front national.
Une façon d'emboîter le pas des ultras anti-gaullistes
La violence de la critique de Sarkozy est plus étonnante. Face à un président en exercice qui dit vouloir rendre hommage à "toutes les mémoires", on pouvait s'attendre, de la part d'un ancien chef de l'Etat, qui plus est se réclamant de la famille gaulliste, qu'il cherche à apaiser les oppositions plutôt qu'à aviver les querelles. En clair qu'il s'élève au lieu de chercher un gain politique - hypothétique - en flattant la frange la plus dure de l'électorat.
Une tentation qu'avait déjà eu l'ex-locataire de l'Elysée pendant sa campagne de 2012. Dans le livre "Le mauvais génie" (Fayard), deux journalistes du "Monde" écrivent que Patrick Buisson, conseiller venu de l'extrême droite, avait convaincu Sarkozy de remettre en cause les Accords d'Evian mais le président-candidat n'était pas passé à l'acte. Il s'agissait alors - comme aujourd'hui - de séduire l'électorat du Front national.
Ce qui peut paraître plus étonnant, c'est qu'en adoptant cette attitude de remise en cause d'un fait historique - le 19 mars est entré, qu'on le veuille ou non, dans l'histoire du pays et fait même l'objet d'une loi -, il emboîte le pas de cette extrême droite qui n'a cessé de combattre le général de Gaulle jusqu'à tenter, en vain, de l'assassiner. Il y avait, du reste, d'anciens activistes de l'OAS dans l'équipe de fondation du Front national en 1972.
Un soutien très modéré chez "Les Républicains"
Il n'est pas indifférent de constater que Sarkozy - primaire de la droite oblige, sans doute - n'a pas bénéficié d'un soutien massif des têtes d'affiche du parti "Les Républicains". Certes, Eric Ciotti et Christian Estrosi, deux élus de droite du sud-est de la France soumis à la pression du FN, ont dénoncé la commémoration décidée par Hollande, mais ils n'ont pas vraiment été suivi par les poids lourds.
Silence chez François Fillon. Si Alain Juppé s'est "fendu" d'un post (très court) sur son blog à propos du 19 mars, il n'apparaît pas, d'emblée, qu'il s'agit d'un soutien franc et massif apporté à Sarkozy. "Nous avons décidément le don de souffler sur les braises mal éteintes de notre histoire nationale", écrit l'ancien premier ministre dans une phrase générique qui peut viser aussi bien Hollande que Sarkozy.
"Fallait-il que le chef de l’État, en solennisant le 19 mars, relance la querelle ?" se contente de demander, en quelques mots, celui qui caracole en tête des sondages à droite. Une manière d'assurer un service minimum pour montrer à Sarkozy qu'il n'est pas totalement absent du "débat", tout en pointant le fait que ladite "querelle" est certainement dépassée, voire inutile. Sauf à penser, bien sûr, qu'elle avait des visées électoralistes !