Clivant ou consensuel ? Dans un an, la campagne présidentielle entrera dans sa dernière ligne droite. Si on ne connaît pas encore, et de loin, le nom de tous les candidats - hommes et femmes -, on peut quand même s'interroger sur le profil de chef d'Etat que les Français recherchent pour diriger le pays. La même question se pose, en ce moment, avec acuité aux Etats-Unis.
De l'autre côté de l'Atlantique, les primaires mettent en évidence un fort décalage entre "l'establishment" du "GOP" - Grand Old Party - et l'électorat républicain engagé. Alors que Donald Trump, figure populiste et atypique, séduit l'opinion conservatrice nord-américaine, l'appareil du Parti républicain cherche, sans y parvenir pour le moment, une figure moins clivante et plus consensuelle.
Vue de France, la bataille américaine se livre moins sur le "fond de sauce" politique des protagonistes - les sénateurs Marco Rubio (Floride) et Ted Cruz (Texas) n'ont rien à envier au milliardaire Trump sur le plan idéologique - que sur le comportement et l'image que renvoie chacun d'entre eux. A cette aune, la vulgarité, la misogynie et les excès de langage de Trump, qui confinent à l'exclusion et au racisme, n'ont pas l'air de faire fuir les électeurs républicains.
Trump, une source d'inspiration à droite ?
Face à ce déferlement, Hillary Clinton est en train de se forger, grâce à lui et avec son aide indirecte, une image anti-Trump. Un profil qui est l'exact contraire de celui du magnat new-yorkais de l'immobilier. La candidate démocrate (qui distance son rival Bernie Sanders) oppose la tendresse à la virilité brutale, la concorde aux propos de "guerre civile", l'amour du prochain à l'exclusion de l'étranger. Ce discours là ne lui porte pas préjudice dans son électorat alors qu'en 2012 sa campagne était empreinte de dureté.
Toutes choses égales par ailleurs (et peut-être inégales, en l'espèce), un cas de figure ressemblant peut-il se présenter en France ? La question présente plusieurs facettes. Il y a d'abord, celle du glissement à droite de la société au cours de ces dernières années. Le centre de gravité politique du pays a incontestablement bougé, au point de donner à l'extrême droite une place prépondérante en termes de voix.
Le Pen père dit qu'il voterait Trump - ce qui est aisément compréhensible - s'il était Américain. Pour autant voit-il sa fille comme doublure du milliardaire new-yorkais en France ? Rien n'est moins sûr car il ne la trouve pas assez transgressive. Une partie de la droite, à l'instar de Laurent Wauquiez, n° 2 du parti "Les Républicains", considère que Trump devrait être une source d'inspiration : un conseil donné à Nicolas Sarkozy qu'il soutient potentiellement pour la primaire de la droite ?
Macron, l'homme qui brouille les carte à gauche
Cependant, les sympathisants de la droite et du centre, pour l'institut Elabe, donnent plutôt massivement leur confiance à Alain Juppé. En mars, un sondage montre que le maire de Bordeaux devance l'ancien chef de l'Etat de près de 35 points : 76% contre 42% (page 17). Or, on a du mal à imaginer Juppé en Trump français... puisqu'il est justement son antithèse. Si l'ancien premier ministre de Chirac (1995-1997), c'est sans doute qu'il incarne plutôt le rassemblement que la rupture, à défaut d'être un symbole de renouveau.
A gauche, la situation n'est pas beaucoup plus lisible. Bien malin qui peut déterminer le profil de celui ou de celle qui pourrait entraîner un électorat déboussolé depuis le début du quinquennat. Pour preuve, la cote de confiance de François Hollande et celle de Manuel Valls plongent dans les abîmes - respectivement 17% et 23% en mars, toujours selon Elabe - alors que les Français sont séduits par Emmanuel Macron, archétype du social-libéralisme, au moment où une pétition contre la réforme (plutôt libérale) du droit du travail recueille plus d'un million de signatures. Difficile de suivre !
Et quand on voit, pour couronner le tout, que le même Macron se classe juste derrière Juppé dans les préférences des sympathisants de la droite et du centre, on comprend que le profil-type du président rêvé par les Français va être difficile à dessiner. A croire qu'ils voudraient une homme ou une femme de gauche pour appliquer une politique de droite. Ou bien l'inverse. Reste que l'opinion apprécie les candidats clivants avant l'élection et semble préférer les présidents consensuels... après ! Impossible équation.