Le remaniement gouvernemental l'a chassée du devant de la scène. Le président de la République espérait-il ainsi entrer dans une séquence plus heureuse ? Las ! La nouvelle composition du gouvernement Valls, lui-même confirmé à Matignon, a suscité plus de sarcasmes que d'enthousiasme. Eclipsé un moment, le débat sur la réforme constitutionnelle va rapidement revenir sur le tapis.
Adopté en première lecture, le 10 février, à l'Assemblée nationale par 317 voix contre 199, le projet de loi constitutionnel de protection de la Nation a déchiré tous les groupes politiques... avec plus ou moins d'intensité. L'article premier destiné à faire entrer l'état d'urgence dans la Constitution a été adopté par 116 voix contre 19, après une seconde délibération, alors que l'article 2 (déchéance de nationalité) est passé de justesse avec 162 suffrages contre 148.
C'est ce second article qui a soulevé le plus d'opposition tant à gauche qu'à droite. Annoncée par François Hollande dans son discours devant le Congrès, trois jours après les attentats terroristes de Paris et du stade de France du 13 novembre 2015 qui avaient fait 130 morts, la déchéance de nationalité initialement prévue pour les binationaux a fait l'objet, de la part du pouvoir, de plusieurs réécritures pour ne plus cibler, au final, les seuls binationaux.
Nicolas Sarkozy est pour, François Fillon est contre
Mais la France se refusant à créer des apatrides - ce qui, à l'heure actuelle, écarte d'office la déchéance des "mono-nationaux" même si certains juristes estiment que c'est quand même possible -, la dernière rédaction du texte ne trompe personne. Ce sont évidemment les binationaux condamnés définitivement pour des actes de terrorisme qui sont les principaux... et seuls concernés, dans l'état actuel du projet de loi constitutionnelle et de la législation française.
Au-delà des convictions des uns et des autres sur la nécessité de faire entrer - ou de ne pas faire entrer - cette déchéance dans la Constitution, il y a une partie de billard à plusieurs bandes qui concerne autant la gauche que la droite. Une partie de la gauche conduit une action anti-Valls. L'opposition, c'est de bonne guerre, accuse Hollande de vouloir faire un "coup politicien" sur son dos, en tentant de la piéger. Il est vrai que la déchéance est devenue - aussi - un enjeu dans la bataille que se livrent les prétendants de la primaire de droite.
Nicolas Sarkozy et François Fillon avaient eux-mêmes proposé cette mesure en 2011, avant d'y renoncer sous la pression de Jean-Louis Borloo et des centristes, pour ne pas faire exploser la majorité d'alors. Aujourd'hui, Sarkozy a appelé les députés de sa "famille" à voter en faveur de la révision constitutionnelle provoquant une passe d'armes avec son ancien premier ministre. Fillon, en effet, s'est opposé à cette révision - "inutile", selon lui - comprenant la déchéance. Quant à Alain Juppé sa position n'est pas d'une clarté absolue.
Le texte va-t-il partir dans un mouvement de navettes ?
Au milieu de ce maelström, où les socialistes se déchirent plus que "Les Républicains", Hollande peut-il encore sauver sa réforme constitutionnelle pour la conduire jusqu'au Congrès ? Tout dépend de l'attitude que les sénateurs de droite vont adopter lors de la discussion du projet en première lecture. Celle-ci commencera en commission des lois, le 9 mars, sous la houlette de son fin et subtil président, Philippe Bas (LR). En l'état, la ligne rouge à ne pas dépasser, pour la majorité sénatoriale de droite, est celle de l'apatridie faisant qu'un être humain ne bénéficie de la protection d'aucun Etat.
Le Sénat va donc proposer et adopter, très probablement, sa propre rédaction des trois articles (1er, 1bis et 2) du projet de loi transmis par l'Assemblée. Or, une révision constitutionnelle exige ne adoption conforme, c'est-à-dire dans les mêmes termes, par les deux chambres du Parlement. Ce qui, dans un premier temps, risque de ne pas être le cas. Pour Bruno Retailleau, président du groupe sénatorial "Les Républicains", "la gauche ne peut pas demander au Sénat d'assumer ses divisions".
Dans cette hypothèse, le texte va partir dans un mouvement de navette entre les deux assemblées, mouvement qui peut avoir une durée indéfinie car contrairement à un texte ordinaire, ce ne sont pas les députés qui ont le dernier mot. A cette aune, Hollande ne peut guère compter que sur deux portes de sortie. Soit les sénateurs de droite font appel aux inépuisables resources de la langue française pour trouver une formulation qui ne heurte pas les députés de gauche, soit le texte s'enfonce dans la procédure parlementaire avant d'être abandonné... au grand dam de l'opinion publique.
Favorable à cette révision - surtout à la mesure de déchéance, selon les sondages -, l'opinion sera-t-elle le juge de paix de cette bataille parlementaire qui transgresse largement les frontières des partis politiques ? Hollande place peut-être son espoir dans le jugement sévère que celle-ci pourrait porter à l'encontre de ceux qu'elle jugerait responsable du capotage de la révision constitutionnelle. Une nouvelle épreuve qui aurait pu être certainement évitée !