Nouveau, renouveau, renouvellement... Voilà le "nouveau" concept politique de 2016 ! Les Français n'aiment plus les partis politiques : un récent sondage OpinionWay indique que leur cote de confiance est à 12% alors que les PME, l'armée et les hôpitaux culminent à 80% et plus (page 28). Avec un score de 24%, les médias se classent juste avant les partis, en avant-dernière position. C'est dire que la dénonciation de la "classe politico-médiatique" et des "élites" a de beaux jours devant elle. Et son corollaire - la glorification de la "société civile" - tout autant.
Les Français veulent du neuf, assurent les enquêtes d'opinion et serinent quelques conseillers en communication qui flairent une bonne opération. Le problème, c'est que les formations politiques traditionnelles seraient incapables de proposer ce "renouveau" à l'opinion. Il faut reconnaître qu'au cours des 20 dernières années les partis qui se sont succédé au pouvoir, de droite ou de gauche, n'ont pas donné une image éclatante et probante de ce renouveau. Le "renouveau" serait donc de retour par la fenêtre.
Mais ce que certains présentent comme "le" phénomène nouveau de cette nouvelle année est, en réalité, une constante de la vie politique depuis le début de la Ve République. De la première élection présidentielle au suffrage universel, en 1965, à la prochaine - la dixième -, en 2017, ce concept a toujours été présent, avec plus ou moins de force, avec plus ou moins de pertinence, dans l'offre publique. Il y a 50 ans, c'est un professeur de philosophie de formation, démocrate-chrétien et atlantiste, qui donnait la première image du "renouveau" politique. Il s'appelait Jean Lecanuet.
En 1965 déjà, Lecanuet était un "homme neuf"... et du centre
Candidat centriste à la présidentielle de 1965 à l'âge de 45 ans face à Charles de Gaulle, né en 1890, et à François Mitterrand, 11 fois ministre sous la IVe République, Lecanuet contribue à mettre le père de la "France libre" en ballottage. Un affront. Peu prévisible, son score (15,57% des voix) est un coup de tonnerre. Et l'affront s'aggrave quand le président du MRP (Mouvement républicain populaire) ne donne pas de consigne de vote pour le second tour... en faveur du "général". Il faut croire que Lecanuet était alors la figure du "renouveau" - il se présentait lui-même comme un "homme neuf" -, en opposition à deux personnages que l'opinion fréquentait déjà depuis 20 ans.
Quatre ans plus tard, après la démission du "général" - battu au référendum sur la régionalisation et la disparition promise du Sénat -, la figure de la nouveauté dans une gauche non communiste en lambeaux, c'est Michel Rocard, candidat du PSU (Parti socialiste unifié) face à Gaston Defferre, cheval de retour de la SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière). Le premier obtient 3,61% des suffrages et le second, 5,01%, contre 21,27% à Jacques Duclos, représentant du PCF et du Komintern encore réunis pour la gloire de l'Union soviétique. Mais ces trois là, "renouveau" ou pas, laissent la droite et le centre (Georges Pompidou et Alain Poher) en découdre au second tour.
1974 voit la troisième tentative du centre politique parvenir à ses fins. L'emblème du "renouveau", de la "jeunesse" et de la "modernité" s'incarne dans trois initiales : VGE pour Valéry Giscard d'Estaing. A 48 ans, Giscard devient le président de la République qui ramène la majorité de 21 ans à 18 ans, qui fait adopter l'IVG (interruption volontaire de grossesse) par le Parlement grâce à Simone Veil et à l'aide de la gauche, qui donne vie au divorce par consentement mutuel. Mais 1974 sonne aussi la fin des "Trente Glorieuses" et le début d'une crise économique qui, entre autres choses, sera fatale à VGE, sept ans plus tard.
En 2002, la "nouveauté" d'un scrutin surréaliste à 16 candidats
Symbole du "renouveau" à l'aube du septennat, il devient la caricature du rejet à son crépuscule. L'opinion rêve alors de changement. Face à la droite libérale que représente un VGE affaibli, la droite gaulliste se déchire en alignant trois candidats : Jacques Chirac, Michel Debré et Marie-France Garaud. Et qui va incarner ce "changement" tant attendu ? Mitterrand ! A sa troisième tentative, le candidat du Parti socialiste entre à l'Elysée, en 1981. L'époque où les deux candidats arrivés en tête au premier tour totalisaient entre 65% et 75% est révolue. A eux deux, Giscard et Mitterrand rassemblent à peine plus de 50% de l'électorat.
Si le "renouveau" est toujours un peu pâlot en 1988, le renouvellement n'est pas encore au rendez-vous en 1995. Comme Mitterrand à qui il succède, Chirac finit par gravir les marches du perron de l'Elysée à sa troisième tentative. Après avoir écarté, au premier tour, Edouard Balladur qui n'est pas à proprement parler un perdreau de l'année (il était entré au secrétariat général de l'Elysée... en 1974) et Lionel Jospin, au second tour, Chirac commence - sans le savoir - le dernier septennat de la Ve République. Ce scrutin présidentiel est mortifère pour Nicolas Sarkozy qui a soutenu Balladur contre Chirac : il le paie par une traversée du désert. Avant de renaître de ses cendres.
Si la droite est déchirée en 2002 avec trois candidats (Chirac, Madelin et Boutin), la gauche est dans les choux avec quatre prétendants (Jospin, Chevènement, Hue et Taubira). A l'extrême droite, Mégret fait la pige à Le Pen père et à l'extrême gauche, trois trotskistes se tirent la bourre (Laguiller, Besancenot et Gluckstein). Même les écologistes cherchent à se partager le marché à deux : Mamère et Lepage. Au centre, Bayrou est seul, comme Saint-Josse, pour les chasseurs. La première "nouveauté" de ce scrutin surréaliste, c'est le nombre de candidats : 16. Une première sous la Ve ! La deuxième, c'est la présence du Front national au second tour et l'élimination du candidat socialiste. La troisième est que le total des voix Chirac-Le Pen fait moins de 40% des suffrages du premier tour.
En 2017, conseillers en communication et "renouveau"
Cinq ans plus tard, au terme d'une campagne électorale menée tambour battant au cours de laquelle il a joué la carte de la "rupture" et du "renouveau", Sarkozy est élu face à Ségolène Royal qui n'a pas rassemblé tout le PS derrière elle. Mais autant sa campagne a été admirablement conduite, autant son début de quinquennat est calamiteux par l'image qu'il donne à l'opinion. Entre le yacht de Bolloré et la soirée au Fouquet's, Sarkozy fusille son mandat naissant avec un indéniable talent. La crise économique, ses erreurs de casting et sa persistance dans le "rentre dedans" qui accompagnent son quinquennat feront le reste. L'opinion n'en peut mais. Tout comme VGE est 1981, Sarkozy passe du "renouveau au rejet.
Et comme en 1981, c'est le candidat de la gauche qui va en être bénéficiaire en 2012. François Hollande, dont le slogan de campagne est "le changement, c'est maintenant", entre à son tour au "Palais", un peu plus de 20 ans après Mitterrand. Mais paradoxalement, ce n'est pas Hollande qui va apparaître comme l'homme du "renouveau". Championne de la dénonciation des partis qui gouvernent le pays depuis 50 ans, Marine Le Pen, dont le patronyme, par son père, est présent dans l'arène politique depuis autant de temps, s'arroge le label de la "nouveauté". Arrivée troisième de la présidentielle (17,90%), elle joue sur du velours en n'ayant jamais été confrontée à l'exercice du pouvoir.
Face à la menace de sa présence au second tour de la présidentielle de 2017, la droite a mis en place le même système de primaire que le PS en 2011 pour éviter un combat fratricide et s'assurer qu'elle n'aura qu'un représentant. A l'heure actuelle, alors que l'opinion réclame ce "renouvellement", Alain Juppé - premier ministre de 1995 à 1997 - tient la corde dans les sondages. A gauche, l'impopularité de Hollande pousse ses opposants (internes et externes) à réclamer une "primaire des gauches". Et voilà que des conseillers en communication, qui font aussi dans l'entrepreunariat et qui ne sont pas particulièrement pro-Hollande, vendent, sur les réseaux sociaux, le "renouveau" politique. Cent fois sur le métier... Officiellement, le but est de faire émerger "the right man" ou "the right woman" de la société civile. C'est au moment où l'on va parler projet que ça va se compliquer. Car pour l'instant, ce "renouveau" étant vide de programme, cela se limite surtout à une opération floue de... communication.