Certains entretiens sont à marquer d'une croix blanche. Ils entrent dans la catégorie de ceux dont il faut se souvenir. Ceux qu'il faut archiver. Celui que Nicolas Sarkozy a accordé à des lecteurs du quotidien Le Parisien le 18 septembre, entre dans cette catégorie. C'est un chef d'oeuvre. Moins par les annonces qui y sont faites - il n'y en a aucune - que par la confirmation du profil qui s'en dégage !
Tiens, c'est parti dès le titre de "une" du journal : "J'ai beaucoup appris de la défaite", dit l'ancien président de la République. On s'attend donc à lire des propos empreints de modestie, des analyses frappées au coin de l'humilité, une auto-critique sereine du quinquennat passé... Quelque chose en rupture avec les propos à l'emporte-pièce qui lui ont souvent été reprochés.
D'autant que Sarkozy assure, au détour d'une question : "Plus jeune, j'étais un peu bulldozer". Un peu ! "Plus jeune", c'était avant 2012. Et d'insister "un peu", en ajoutant ailleurs sur le mode humoristique : "Vous avez vu comme je suis calme maintenant ? Un vrai toutou". A-t-il compris que son comportement de matamore a joué négativement dans le jugement que les Français portaient sur lui ? Cette énième version du "J'ai changé" montre-t-elle qu'il faut encore en persuader les intéressés ? Allez savoir.
Quand il fustigeait "les naïfs" et "les donneurs de leçons"
Matamore, l'ex-chef de l'Etat l'est pourtant encore. Et oublieux, d'abord. "Kadhafi était sans doute un des dictateurs les plus violents, les plus inhumains, les plus sanglants de la fin du siècle précédent", répond-il à une question sur l'intervention militaire en Libye, en 2011. Moins de quatre ans avant, le même recevait en grandes pompes le "dictateur" en question, en fustigeant "les naïfs" et "les donneurs de leçons" qui s'intérrogeaient sur la conception des droits de l'homme du "guide" libyens.
Et de poursuivre dans la même veine. "Des élections générales ont eu lieu en juillet 2012, les modérés l'ont emportés. J'ai quitté l'Elysée en mai 2012, souligne-t-il. Qu'est-ce qui s'est passé après ? On a laissé tombé la Libye". Le problème est que la réalité est un peu différente, comme le rappelle Libération. Car si la communauté internationale avait minutieusement préparé l'offensive militaire aérienne contre Kadhafi, il était loin d'en être de même pour la transition politique.
Sur la Syrie, ses déclarations sortent du même tonneau. A juste titre, il qualifie Bachar al-Assad de "dictateur" qui "a sur la conscience 200.000 morts, c'est un criminel". Le problème est que le chef de l'Etat syrien n'est pas un "dictateur" et un "criminel" depuis hier matin. Cela ne l'avait pas empêché d'être invité, avec 50 autres chefs d'Etat, au défilé du 14-Juillet, en 2008, par... Sarkozy. Invitation justifiée alors par le premier ministre, François Fillon.
Convaincre grâce à l'image, aux postures et au story telling
Fort de cette attitude visionnaire passée, l'ancien locataire de l'Elysée donne quelques conseils sur la manière d'en finir avec Daech (organisation terroriste de l'état islamique), non sans avoir brocardé Hollande au passage. A la suite d'une énumération de "il faut" et de "Yaka", il lance : "En quelques mois, la Syrie peut-être libérée. C'est une question de leadership". A ce moment précis de l'entretien, on se remémore la profession de foi du début : "Plus jeune, j'étais un peu bulldozer". Mais ça, c'était avant !
Il en va de même pour le temps de travail. "Supprimer les 35 heures, oui il faut le faire", lance-t-il dans une formule brut de décoffrage. Ce chiffon rouge social est agité par la droite depuis deux décennies. Mais depuis deux décennies, la droite se refuse à sauter l'obstacle dont la gauche - la société peut-etre aussi ? - est parvenue à faire un tabou. Ce nouvel enthousiasme est en parfaite contradiction avec l'opposition qu'il manifestait encore en 2011 et que rappelait Valérie Pécresse, sa dernière ministre du budget, en 2013.
Tout le problème de Sarkozy est de prouver qu'il a changé, ce qu'il s'attache à faire du jour où il a quitté le pouvoir sans vraiment réussir à convaincre tant ce qui est rapporté de son attitude et de ses jugements en privé, sur ses amis ou ses adversaires politiques, va dans le sens contraire. A défaut de pouvoir emporter la conviction de l'opinion sur un projet politique, il tente de le faire sur une image, des postures et du story telling. Quitte à en faire un peu trop !