François Hollande a commencé l'inventaire de son propre quinquennat ! Dans un livre de la journaliste du "Monde", Françoise Fressoz, à paraître le 3 septembre ("Le stage est fini", Albin-Michel), le président de la République se livre à une introspection du début de son mandat. Elément phare de ce regard critique : le regret d'avoir fait passer à la trappe la "TVA sociale" de Nicolas Sarkozy, dès après sa victoire présidentielle de 2012. Décidée par l'ex-chef de l'Etat, cette mesure - la TVA passait de 19,6% à 21,2% - avait été adoptée dans un collectif budgétaire, en février 2012. Elle s'accompagnait d'une baisse des charges des entreprises et elle devait contribuer à une réduction du déficit public. Son entrée en vigueur était prévue en octobre 2012. Elle est donc mort-née.
Pendant la campagne électorale, le candidat Hollande s'était engagé, en effet, à la supprimer "immédiatement" après son entrée à l'Elysée. Ce qui fut fait. Il faut dire qu'au moment de son instauration, le ban et l'arrière-ban socialiste n'avaient pas eu de mots assez durs pour dénoncer cette "TVA sociale". Alors rapporteure générale de la commission des finances du Sénat et future éphémère ministre de l'écologie, Nicole Bricq avait résumé le sentiment dominant au PS dans un entretien au "Monde" : "la TVA sociale est injuste pour les plus modestes, qui verront leur pouvoir d'achat diminuer et les prix augmenter, et elle n'a pas de sens économiquement, disait-elle. La baisse du coût du travail qu'elle est censée permettre ne réglera pas les problèmes de compétitivité hors prix d'une économie française pas assez innovante et ceux d'entreprises qui ne sont pas sur les marchés porteurs."
Si la droite, à de rares exceptions près, apportait un soutien sans faille à Sarkozy, Marine Le Pen, Eva ou Jean-Luc Mélenchon, tous candidats à la présidentielle, étaient sur la même longueur d'onde d'opposition des socialiste. A gauche, une seule voix s'était fait clairement entendre, quelques mois auparavant, en faveur de la "TVA sociale". C'est "la solution" avait déclaré Manuel Valls lors de la primaire socialiste, fin 2011, avant que le locataire de l'Elysée ne la reprenne à son compte, début 2012... et que lui-même, largement distancé dans la compétition interne du PS, fasse machine arrière. Dans une tribune publié en octobre 2011 par le quotidien économique "Les Echos" et titrée "Oui, la TVA sociale est une mesure de gauche", la futur premier ministre écrivait : "La situation que nous devrons affronter ces prochains mois nécessite que la gauche soit à la hauteur des enjeux budgétaires et économiques, et de faire preuve d'un courage qui, seul, nous permettra de gouverner dans la durée."
La "victoire posthume" de Valls sur la "TVA sociale"
Il se trouve que Valls était arrivé 5e sur 6 avec un score de 5,63% au premier tour de la primaire socialiste et que sa ligne politique avait été balayée du second tour, en même temps que lui. Rallié à Hollande pour le duel avec Martine Aubry, il était devenu ensuite le porte-parole du candidat socialiste pendant la campagne présidentielle. Il est aujourd'hui son premier ministre et remporte, avec ce regret hollandais sur la "TVA Sarkozy", une sorte de "victoire posthume".
Avec presque 4 ans de retard, Hollande, chef de l'Etat, désavoue Hollande, vainqueur de la primaire, en donnant raison à Valls, archi-battu de cette primaire. Le plus amusant, si on se risque à un parallèle, est que Valls, premier ministre, désavoue aujourd'hui Macron, ministre de l'économie, sur les 35 heures, alors que Valls, candidat de la primaire, voulait justement "dévérrouiller" ce dogme du temps de travail. La vie est mal faite !
Les "bonnes feuilles" du livre-confession de notre consoeur sortent dans L'Express quelques jours - hasard du calendrier ? - avant la conférence de presse de rentrée que donne Hollande le 7 septembre. Au-delà de la seule "TVA Sarkozy", elles mettent en évidence sa volonté de reconnaître ses erreurs et d'expliquer le chemin qu'il a suivi - "J'ai engagé des réformes qui ne sont pas toutes de gauche mais qui servent l'intérêt général."
Tenter de ringardiser le "j'ai changé" et "l'homme neuf"
Cette esquisse de mouvement lui permet aussi d'adresser des reproches d'immobilisme à son propre camp - "J'ai fait le pari que la gauche était devenue mature, que, minoritaire dans le pays, elle serait capable de comprendre qu'elle devrait faire bloc pour gouverner; mon constat, c'est qu'une partie de la gauche ne l'admet pas." Lucide, il constate que "la rupture" avec la majorité s'est faite au début du quinquennat quand il a renoncé à renégocier - en affirmant le contraire - le traité budgétaire européen avec Angela Merkel, ce qui était un de ses engagements de campagne. Les "frondeurs" du PS sont sortis du bois à ce moment là.
Faire soi-même un inventaire du vivant de son propre quinquennat représente des avantages : cette technique prend de court ceux qui seraient tentés de le faire à sa place dans son propre camp ou dans le camp adverse et il permet de définir les sujets dont les adversaires et les commentateurs vont parler. Inhabituelle en cours de mandat, elle "ringardise" un tantinet les mea culpa qui interviennent plusieurs années après les faits quand les dirigeants ne sont plus au pouvoir.
C'est le cas, par exemple, du "J'ai changé" d'Alain Juppé regrettant sa précipitation et son manque d'écoute des acteurs sociaux lors de la réforme des retraites de 1995 qui avait soulevé une énorme contestation contre l'ex-premier ministre de Chirac. Et c'est aussi le cas de "l'homme neuf" joué à plusieurs reprises par Sarkozy pendant et après son quinquennat, sans faire véritablement un inventaire de celui-ci. Ce que, précisément, certains vont lui redemander de faire aujourd'hui, à l'instar du mouvement ébauché par Hollande.
Le chef de l'Etat ouvre une "boîte de Pandorre"
Mais face aux avantages, il y a bien évidemment des inconvénients. Toute l'opposition de droite confondue ne va sûrement pas manquer de souligner qu'une telle démarche de si bon aloi ne peut pas s'arrêter en si bon chemin. Et s'il y a une faute ici, c'est qu'il y en a aussi une autre ailleurs. Et pourquoi pas des fautes et des erreurs tout au long du parcours.
D'une certaine manière, Hollande ouvre une boîte de Pandore, en créant une situation qui deviendra incontrôlable : une avalanche de reproches sur sa politique, tous domaines rassemblés, lui tombant dessus. A contrario, l'opposition de gauche va considérer que le chef de l'Etat tombe définitivement le masque - elle lui reprochait implicitement une politique de droite sous le vocable de "social-libéralisme" - et qu'entre lui et Sarkozy, il n'y a même plus l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette.
Il est difficilement imaginable que Hollande n'ait pas pensé aux retombées, diverses et variées, que ces "confessions" iconoclastes allaient provoquer. Il les a donc faites à dessein. Pas seulement pour se flageller et se faire flageller, mais pour tracer les contours de la dernière partie de son quinquennat... et de celui qu'il envisage après. Il assume pleinement son "social-libéralisme", regrette qu'une frange de la gauche ne le suive pas, reconnaît que Valls était, selon lui, dans le vrai - ce qui justifiera son maintien jusqu'à la présidentielle de 2017 -, et souhaite faire fonctionner une "ouverture à la Mitterrand" en entraînant la majorité d'un PS devenu "parti démocrate". Et avec tout cela, il espère convaincre les Français de sa bonne foi. Au vu de tous ces éléments, le pari est effectivement périlleux !