François Fillon joue-t-il son va-tout ? Largement distancé dans les sondages (Ifop ou Odoxa au début 2015 ou LH2 en 2014) consacrés à la primaire de la droite et du centre, l'ancien premier ministre accélère le rythme pour tenter de sortir de "l'invisibilité" dans laquelle le confinent Alain Juppé et Nicolas Sarkozy. Avec des intentions de vote qui tournent autour de 5% dans l'électorat concerné, Fillon, qui est même dépassé par Bruno Le Maire, apôtre du "renouveau", engage sa survie politique en présentant un projet résolument libéral.
Fils spirituel de feu Philippe Séguin, chantre d'un "gaullisme social", Fillon, qui fut affublé du titre de "collaborateur" par Sarkozy - petite mesquinerie qu'il ne lui a probablement pas pardonnée -, a présenté, le 26 août, son "Manifeste pour la France" intitulé "Osons dire, osons faire". Sur le plan tactique, l'ancien chef du gouvernement (2002-2007) fait un pari audacieux mais courageux : il pense que les électeurs lisent les programmes de ceux qui se présentent à leurs suffrages. Ses amis pourraient dire qu'il oppose l'intelligence de la réflexion au buzz du storytelling.
A 15 mois de la primaire de son camp dont il apparaît, à la lecture de son projet, que c'est pour lui la mère des batailles, Fillon présente implicitement Sarkozy comme son principal adversaire. "En 2016, écrit-il, je vous communiquerai un projet complet, détaillé et chiffré que je défendrai en novembre lors de la primaire, afin que vous ayez le choix que vous méritez et auquel vous aspirez, en toute connaissance de cause : sur le fond, sur l’action, pas sur les postures".
La liberté économique contre les thématiques identitaires
Mais dans cette primaire, il a un second adversaire de poids : Juppé. Objet d'une offensive souterraine des sarkozystes sur son âge - il a fêté ses 70 ans, le 15 août - cet autre ancien premier ministre (1995-1997) tient, maintenant, la corde auprès des Français et des sympathisants de la droite et du centre. "On voudrait vous faire croire que la primaire est déjà jouée, que les sondages et votre vote, c’est la même chose, poursuit-il dans son Manifeste. Ne le croyez pas. La primaire sera la première étape de la reprise en main de votre destin. Vous ne vous laisserez pas confisquer cette échéance démocratique."
Face à l'ancien chef de l'Etat qui surfe sur les thématiques identitaires - elles sont prisées et avivées par l'extrême droite -, afin de capter un électorat de droite qui a déjà basculé vers le Front national ou qui serait tenté de le faire, Fillon mise sur une batterie de mesures économiques et sociales faite, selon lui, pour laisser s'épanouir les énergies. On y retrouve quelques constantes des libéraux : retour aux 39 heures, retraite à 65 ans, baisse de 50 milliards des charges des entreprises, réduction de 110 milliards de la dépense publique et diminution de 10% des effectfs des fonctionnaires sur un quinquennat, relèvement des seuils sociaux...
Ce ciblage fait d'entrée de jeu a non seulement pour but de prendre date, de marquer une certaine constance, de montrer à ses concurrents qu'il les devance sur le terrain programmatique mais également qu'il s'en démarque. D'un côté, il rappelle, en creux, qu'il avait déjà ces idées là sous le quinquennat précédent mais que Sarkozy, comme il l'a déjà laissé entendre, l'a bridé, le contraignant à des demi-mesures. Ce fut le cas sur la durée du travail. Et de l'autre côté, il suggère que Juppé, qui se présente en sage dans la compétition, veut réformer sans bousculer les conservatismes. Il est vrai que la mauvaise expérience de la réforme des retraites de 1995 peut inciter l'intéressé à la prudence.
Trouver un espace entre la gesticulation et la placidité
Le calcul de Fillon est de trouver un espace entre un candidat vibrillonnant (Sarkozy) à qui il dénie, sans le nommer, la possibilité d'être un "homme providentiel" - il demande en tout cas aux électeurs de ne pas croire qu'il pourrait l'être - et un prétendant placide (Juppé) qui prône une sérénité et une mesure qui, pour le moment, le portent dans les sondages. Celui qui, dès septembre 2007, disait qu'il était "à la tête d'un Etat en situation de faillite", espère, en tenant un discours de "vérité", renverser la vapeur. Une manière de promettre, à l'avance, "du sang, de la sueur et des larmes".
Alors que ses adversaires assurent, l'un et l'autre, qu'ils ont "changé" - Sarkozy l'avait déjà déclaré au moment de se lancer dans la campagne présidentielle de 2007 et redit en 2012, Juppé l'affirme aujourd'hui en référence à 1995 -, Fillon veut montrer le visage d'un homme qui, pour la bonne cause, ne change pas : ni dans ses convictions ni dans sa posture. Le problème est qu'il doit aussi assumer ou partager une partie du bilan de Sarkozy car il a accompagné l'ancien président pendant 5 ans à Matignon. Il va donc lui falloir convaincre qu'il est toujours le même en étant quand même un autre !
L'histoire des campagnes présidentielles sous la Ve République montre que rien n'est joué à 20 mois de l'échéance. Des percées spectaculaires (Mitterrand mettant de Gaulle en ballotage en 1965) ou des retournements dans la dernière ligne droite (Chirac devançant in extremis Balladur en 1995) se sont déjà produits. Fillon peut donc nourrir l'espoir de créer un nouveau précédent... même en partant de 5% à 6% aujourd'hui. Il faudrait quand même, pour cela, que son actuel coup d'accélérateur soit décelé sur les oscillographes. Faute de visibilité sur les radars, sa situation deviendrait de plus en plus compliquée.