Le "Menhir" et le Front national, c'est fini ! Après quelques mois de provocations, de menaces, d'échanges aigres-doux, de détours par les tribunaux et de procédures disciplinaires internes, les Le Pen, père et fille, ont mis un terme à leur bagarre familiale : le premier, président d'honneur, a été exclu, le 20 août, du parti d'extrême droite qu'il avait cofondé en 1972. La seconde, présidente en exercice, s'est abstenue de participer la réunion du comité exécutif qui a pris cette décision, à la majorité. Il n'y a pas eu unanimité.
Sur le papier, le feuilleton est terminé. La direction du FN veut croire qu'une page est tournée. Le nouveau "paria" du parti, lui, ne l'entend pas de cette oreille. Procédurier dans l'âme, s'estimant "piégé" et "victime d'un guet-apens", Le Pen père n'a pas l'intention de lâcher l'affaire : il va faire appel de son exclusion devant les tribunaux. Pas gêné par le paradoxe, cet anti-européen forcené n'hésitera probablement pas à saisir la justice... européenne pour tenter d'obtenir gain de cause.
Les oreilles de Le Pen fille n'ont donc certainement pas fini de siffler. La présidente du Front national va pouvoir mesurer - grandeur nature - le pouvoir de nuisance de son père. A 87 ans, son avenir politique derrière lui, le vieux chef de l'extrême droite va être tenté de pratiquer la politique de la terre brûlée à l'égard d'un parti dont il a confié les clefs à sa fille en 2011. Mais en son for intérieur, il a toujours considéré que le FN est sa chose. Sa propriété. Sans lui, le Front national, pense-t-il, n'est plus le Front national !
Son nom et son image restent très présents à la base
Avec ou sans Le Pen père, le FN est toujours le même parti puisque son projet et son programme politiques sont les mêmes avec ou sans lui. Bon nombre de dirigeants qui trônent au comité exécutif, de cadres qui peuplent le comité central, d'eurodéputés qui siègent au Parlement de Strasbourg ou de militants qui fournissent la troupe ont adhéré, ont été promus ou élus sur son nom et sur ses idées. Sa fille même a profité de son patronyme, un avantage non négligeable, pour creuser son trou.
Tout ceci ne constituent pas les éléments d'une crise politique ouverte, comme ce fut le cas avec Bruno Mégret dans la fin des années 1990. Le délégué général avait alors avec lui un nombre conséquent de cadres des fédérations et il voulait faire du FN un "parti de gouvernement", en s'alliant avec une partie de la droite traditionnelle et républicaine. Déjà, Le Pen père voulait cantonner son parti dans la contestation du "système", en s'abstenant surtout d'envisager la moindre accession au pouvoir. Pour parvenir à son but, il multipliait les déclarations "orthodoxes".
La situation actuelle présente une certaine similitude avec ce précédent de la fin du 20e siècle. Sauf qu'elle est à front renversé. Cette fois, la fille du fondateur est aux manettes et elle tient bien l'appareil alors que le "frondeur" est dans un rapport de forces internes qui lui est défavorable. Il est seulement flanqué de quelques soutiens historiques plus ou moins connus comme Bruno Gollnisch (qu'il avait écarté en 2011 pour la présidence) ou Marie-Christine Arnautu (la seule à ne pas s'être prononcée pour son exclusion au comité exécutif). Reste que son nom, son parcours et son image demeurent très présents à la base du parti.
Donner des gages de bienveillance aux "historiques"
C'est précisément avec ces facteurs que la présidente en exercice va devoir jouer. Elle peut difficilement effacer d'un trait de plume les 40 années précédentes du parti d'extrême droite au risque d'entretenir, non pas un crise ouverte mais une crise larvée - certains cadres en sont conscients - qui lui "pourrirait" la vie jusqu'à l'éléction présidentielle de 2017. Elle ne peut pas passer par pertes et profits des décennies de construction du mouvement, comme si le FN était né en janvier 2011 avec son accession à la présidence (67,7% des voix des militants) contre Gollnisch.
Elle va donc devoir composer en interne et donner de gages de bienveillance aux "historiques" ainsi qu'à la base dont certains éléments, sans le dire publiquement, sont choqués par la brutalité de la procédure ou par son absence volontaire lors de la réunion de condamnation de la direction. Elle a expliqué cette dernière - ainsi que celle de Philippot - par une nécessité d'impartialité dans la prise de décision, étant elle-même et son vice-président parties prenantes dans les griefs formulés à l'encontre de Le Pen pour le déférer. La "victime" de cette manoeuvre d'apaisement pourrait justement être... Philippot lui-même.
Mal élu au comité central, en 2014, le bras droit de Le Pen fille, dont il est le principal conseiller, concentre sur lui les rancoeurs des "opposants". Omniprésient dans les médias audio-visuels, il incarne, aux yeux de ces "frondeurs", ce qu'ils considèrent être une "dérive gauchiste" du parti. Le Pen père, lui-même, l'accuse d'ourdir un complot contre le FN. Accroché à une de ses marottes, il mène aussi une intense campagne homophobe contre le vice-président du parti. Il suffit de naviguer sur les réseaux sociaux pour savoir que l'homophobie est un thème qui marche à l'extrême droite.
Il ne serait donc pas très étonnant que l'exclusion du "Menhir" s'accompagne d'un déclin, aussi progressif que temporaire, du numéro 2 du parti. La présidente ne pourrait voir que d'un bon oeil cette mise en sommeil politique de son conseiller. Elle ferait ainsi d'une pierre deux coups.