15 août 1945 - 15 août 2015 : Alain Juppé souffle ses 70 bougies. A plus d'un an de la primaire présidentielle à droite, la campagne est déjà engagée depuis un moment chez "Les Républicains". Il n'a échappé à personne que Nicolas Sarkozy (61 ans, le 28 janvier 2016) compte bien utiliser l'argument de l'âge à son profit dans cette compétition.
Jamais frontalement, bien sûr. Mais via des propos rapportés par de bonnes âmes anonymes généralement baptisées "proches de l'ancien président de la République". "Nicolas est convaincu que la primaire se jouera en partie sur le physique, confie ainsi l'un d'entre eux dans le dernier numéro de Paris-Match. Il nous répète sans arrêt que Juppé a dix ans de plus que lui et que cet argument pèsera le moment venu."
La saillie ne brille pas par l'élégance mais elle donne une idée de l'affrontement qui s'annonce. Ce n'est pas la première fois qu'elle est délicatement livrée en guise de paquet-cadeau à l'opinion publique. Il y a quelques mois, déjà, la presse s'était fait l'écho d'une appréciation du même tonneau, venant du même camp : "Ce n'est pas un concurrent, vu son âge, disait-on. C'est de Fillon que peuvent venir les problèmes".
Débat sur l'âge du capitaine
Et comme il n'est jamais inutile faire accompagner le "poids des mots" par le "choc des photos", ces dernieres font partie de la dernière livraison de "Match" dont la lecture est prisée sur les plages. Sarkozy s'y expose en maillot de bain en compagnie de son épouse : un rendez-vous avec le dynamisme et les abdos, pour ceux qui ne saisiraient pas immédiatement le message subliminal. Suivez mon regard vers Bordeaux !
Est-ce à dire que le débat sur l'âge du capitaine va dominer la joute politique à droite dans les 15 prochains mois ? Si c'était le cas, ça serait fort triste et assez pauvre. Mais chez les sarkozystes on pense sans doute qu'une bonne préparation d'artillerie peut, à la fois, faire vaciller l'opinion qui accorde un grosse cote à Juppé et faire douter le camp adversaire sur les capacités de son champion.
L'intéressé lui-même est-il touché par ses allusions répétées ? Il n'en laisse rien paraître. Il s'en amuse plutôt, faisant alternativement référence, comme le rappelle France Bleu Gironde, au vin qui s'améliore en vieillissant ou à son engagement à ne faire qu'un seul mandat présidentiel en cas d'élection..."sauf progrès exceptionnels des biotechnologies qui me permettraient de remplacer mon cerveau, mon coeur, et tous mes organes !"
Le rejet massif de Sarkozy
Déjà en 2014, sans prononcer le nom de Sarkozy, il glissait : "il vaut mieux un sexa en forme qu'un quinqua amorti". Plus sérieusement, il lui est arrivé de rafraîchir la mémoire des oublieux, en rappelant que l'angle d'attaque de l'âge n'a pas vraiment été profitable à Jospin contre Chirac dans la campagne présidentielle de 2002, à la fin de la cohabitation. Il aurait même pu ajouter que de Gaulle ou Mitterrand étaient plus proches de 70 ans que de 60 ans quand ils ont été élus ou réélus à l'Elysée.
L'électorat de droite bénéficiera-t-il d'une campagne d'un autre niveau ? Dans la joute qui va certainement l'opposer à Sarkozy, Juppé peut faire valoir des atouts politiques déterminants. Même si les sondages n'ont jamais fait une élection, les enquêtes d'opinion sont plus favorables au maire de Bordeaux qu'à l'ancien maire de Neuilly depuis plusieurs mois. C'est peut-être cette persistance qui commence à chagriner l'entourage de l'ancien chef de l'Etat.
Ce dernier est l'objet d'un rejet massif de l'opinion : près de 7 Français sur 10, selon différents sondages, ne souhaitent pas le voir se présenter en 2017. Et cette désaffection ne semble pas diminuer au fil du temps. En juillet, une enquête Ifop indiquait qu'au premier tour de la présidentielle, Juppé réalisait un meilleur score que Sarkozy : 28% contre 23%. Pire pour lui, Juppé fait désormais jeu égal ou le dépasse dans l'électorat de droite. Dès le mois de mai, un sondage Odoxa mettait en évidence cette inversion de tendance et donnait l'ancien premier ministre (1995-1997) vainqueur de la primaire à droite. S'agit-il d'une bulle ? Ou bien Juppé tiendra-t-il la distance ?
Le Maire, un joker de droite
Dans les prochains mois, des réflexes et des mécanismes politiques vont se mettre en place. Comme il l'a confirmé dans un récent entretien à Valeurs actuelles, Sarkozy est persuadé que l'élection présidentielle se gagnera franchement à droite. D'ou ses appels du pied récurrents à l'électorat du Front national ou en direction des électeurs traditionnels de la droite attirés par l'extrême droite. Le patron des "Républicains" essaie de coaguler un noyau dur en vue de la primaire. Reste que ce scénario a déjà été joué en 2012 avec le succès que l'on sait.
De son côté, Juppé estime qu'il ne sert à rien d'être aussi clivant. Il veut utiliser à fond la bonne image qu'il a auprès des centristes - il laisse le soin à Bayrou de dire tout le bien qu'il pense de lui - et regarde, avec un certain amusement sûrement, la bonne cote qu'il obtient auprès d'une partie de l'électorat de gauche. Des études montrent que 22% des électeurs de Hollande au premier tour de 2012 seraient prêts à voter pour lui en 2017. Se déplaceraient-ils pour la primaire ? Pas sûr !
Le dernier atout dont dispose Juppé est la position qu'adopteront les autres compétiteurs de la primaire (Fillon, Bertrand et Le Maire) en cas de second tour. Toujours à la traine dans les sondages, les deux premiers ont pris assez leurs distances avec Sarkozy pour ne pas lui apporter leur soutien. Le troisième a un parcours un peu énigmatique. Donné comme outsider, il jouera probablement une carte de premier ministre de l'un des deux principaux protagonistes. Pourra-t-il être le joker de droite de Juppé, sachant que Baroin, président de l'association des maires de France (AMF), pourrait être celui de Sarkozy ?