Jamais les dirigeants politiques français ne se seront autant intéressés à la Grèce ! De droite ou de gauche, chacun y va de son commentaire, de son soutien ou, au contraire, de son croc-en-jambe. Les uns - Front national et Front de gauche flanqués de la gauche du PS - soutiennent mordicus Alexis Tsipras, le premier ministre hellène -, les autres - la droite - fustige son "irresponsabilité", certains, comme François Baroin, lui conseillant même de "partir". Une partie de l'opposition souhaiterait voir la Grèce hors de la zone euro. Au milieu, Hollande et Valls tentent de tenir les deux bouts de la chaine pour parvenir à un accord entre la Grèce et l'Union européenne, accord qui ne viendra plus avant le référendum du 5 juillet.
La crise grecque a remis au goût du jour les fractures de la société française sur l'Europe. Au point de laisser croire que c'est moins l'avenir de ce pays et de son peuple qui intéresse nos dirigeants que la mise en valeur de leur propre position européenne. La décision de Tsipras de consulter les Grecs de toute urgence - le Conseil de l'Europe et le barreau grec considèrent que les conditions d'organisation de ce référendum laissent à désirer - a fourni les ingrédients indispensables à la réactivation de ce débat national sans cesse remis sur le métier.
Les plus en pointe dans ce combat franco-français sont les dirigeants d'extrême droite, Florian Philippot en tête. Il ne se passe pas un jour sans que le vice-président du FN vienne clamer son soutien à Tsipras et dérouler les arguments anti-euro et anti-européens de son parti. Peu importe que les dirigeants de Syriza assurent, avec plus ou moins de conviction, qu'ils n'ont pas envie de voir la Grèce quitter l'euro et l'Eurozone, Philippot ne mégote pas ses louanges à ce parti qui se situe aux antipodes idéologiques du Front national. Il est vrai que, pour ajouter à la confusion, le ministre grec de la défense, un habitué des provocations, appartient au parti nationaliste "Les Grecs indépendants".
"La Grèce résiste pour nous", écrit Mélenchon sur son blog
Avec le recours au peuple par référendum et le combat de David (la Grèce) contre Goliath (l'Europe), le bras droit de Marine Le Pen ne pouvait trouver meilleur scénario pour recycler l'argumentaire anti-européen de son parti. La combinaison des deux facteurs est une véritable aubaine. On pourrait presque dire une "divine surprise" ! Philippot se soucie-t-il comme d'une guigne du peuple grec ? En tout cas, le député européen qu'il est lui-même attend avec impatience une confirmation extérieure du "non" français de 2005 à la Constitution européenne... pour en faire un usage essentiellement intérieur. Un tel résultat donnerait incontestablement du "grain à moudre" au FN.
De l'autre côté de l'échiquier et légèrement marginalisé par l'omnipotence médiatique de Philippot, Jean-Luc Mélenchon centre plutôt son discours sur un soutien inconditionnel aux citoyens grecs. Il s'est déjà associé à deux rassemblements parisiens - somme toute assez modestes - pour tenter de mettre de la distance entre lui et l'extrême droite sur un sujet qui est de nature à leur faire tenir un discours similaire. Sur son blog, l'ancien candidat à l'élection présidentielle a "posté" une analyse dont le titre - "La Grèce résiste pour nous" - montre bien le caractère hexagonal de ce combat anti-Bruxellois. D'autant que la figure de proue de la "gauche de la gauche" en profite, au passage, pour tacler François Hollande.
Ce n'est pas le moindre des paradoxes de voir Mélenchon, qui revendique sa proximité politique avec Tsipras, se faire damer le pion par l'extrême droite française dans l'exposition publique de l'argumentaire anti-européen sur le sujet particulier de la Grèce. Les partisans du Front de gauche, et plus précisément ceux du Parti de gauche, sont, certes, extrêmement présents sur les réseaux sociaux et fort virulents contre les éditorialistes pro-européens particulièrement, mais leur voix porte peu auprès de l'opinion via les médias de grande audience.
A droite, Juppé et Fillon sont plus modérés que Sarkozy
Quant aux "frondeurs" du PS, peu audibles en la circonstance, ils manifestent leur soutien à Tsipras et Syrisa en envoyant une délégation à Athènes, le jour du référendum : Pascal Cherki, député de Paris, ainsi que les euro-députés de l’aile gauche du parti, Emmanuel Maurel et Isabelle Thomas formeront cette délégation solidaire. Cette démarche ne suscite, évidemment, aucune approbation de la direction du Parti socialiste. Elle provoque même quelques railleries de la part de son porte-parole, Olivier Faure, député de Seine-et-Marne, sur la date des vacances d'été de son collègue Cherki.
A droite, l'affaire grecque a donné l'occasion, une nouvelle fois, aux futurs protagonistes de la primaire présidentielle de marquer leurs différences. Alors que Nicolas Sarkozy déclarait que la Grèce est "sortie, de fait, de la zone euro", deux anciens premiers ministres - Alain Juppé et François Fillon - tenaient des propos beaucoup plus modérés, en refusant de mettre de l'huile sur le feu. Jean-Pierre Raffarin, lui aussi ex-premier ministre, faisait des déclarations de même teneur. Ces divergences d'appréciations n'ont bien sûr pas échappé à Valls qui, lors des questions au gouvernement à l'Assemblée, le 1er juillet, a salué la responsabilité des trois anciens chefs de gouvernement. Une manière de souligner l'irresponsabilité supposée du quatrième acteur.
Selon une tradition nationale bien ancrée, une question étrangère entraîne un débat intérieur qui dépasse largement les bornes du problème posé. Derrière le référendum grec se profile, en se cachant, l'élection présidentielle française. D'une certaine manière, la crise européenne qui se joue à Athènes ouvre les portes d'une campagne présidentielle qui débute à Paris. A cette aune, pour dire la vérité, on est bien loin des préoccupations du peuple grec sur lesquelles tout le monde prétend pourtant se pencher. La Grèce est bien un terrain d'entrainement.