"La décision qui a été prise est sage" et "j'espère qu'elle va clore la polémique". En deux phrases, Laurent Fabius a tenté de mettre un point final à la funeste séquence berlinoise de Manuel Valls. Sorti indemne du 77e congrès du PS, le 6 juin, le premier ministre s'est retrouvé, la semaine suivante, sous un feu nourri à la suite de son escapade footbalistique, en compagnie de deux de ses enfants, dans un avion de la République. Après d'incompréhensibles atermoiements, il finit par annoncer, le 11 juin à La Réunion où il est en voyage officiel, qu'il va rembourser les billets de ses enfants, soit 2.500 euros. Clap de fin !
En cinq jours, le chef du gouvernement a-t-il durablement écorné son image ? On notera, au passage, que ce sont plus les "spécialistes de la communication" que les "analystes politiques" qui ont eu la part belle dans l'examen de cette séquence. Alors, écornée ou pas, cette image ? Une réponse de Normand s'impose : oui et non. Oui, car depuis son entrée à Matignon, il incarnait la rigueur et la rectitude. Non, car traitée comme une affaire de communication, elle aura probablement la durée de vie d'un buzz sur les réseaux sociaux.
Tout a été dit, ou presque, sur l'accumulation maximum d'erreurs faites dans un minimum de temps : la collision entre le congrès du PS et des événements sportifs (tennis à Roland Garros, football avec la finale de la Ligue des champions à Berlin), le mélange entre le match Juventus de Turin-FC Barcelone et une rencontre - réelle ou inventée ? - avec Michel Platini (UEFA) au sujet de l'Euro 2016 qui se jouera en France, le transport de ses fils qui donne un air de "passe droit" malvenu et hors-sol, l'annonce tardive du remboursement de leurs billets, tout en laissant entendre qu'il n'y a pas de faute.
La turpitude des uns ne saurait excuser celle des autres
Pour un homme réputé attentif à sa communication et soucieux de délivrer des messages politiques clairs, c'est un vrai palmarès. Valls ne pouvait ignorer que sa bévue initiale allait subir un phénomène cumulatif, lui-même décuplé par la réactivité, les raccourcis, l'absence de mémoire et la chasse perpétuelle qui caractérisent les réseaux sociaux, notamment Twitter. Au regard de questions nationales et internationales bien plus graves, cela a fini par sur-dimensionner cette virée berlinoise qui, pour être incontestablement une faute, n'en est pas moins qu'une faute politique... ou de communication.
Et même si la turpitude des uns ne saurait excuser celle des autres, force est de constater, précisément, que d'autres, avant lui et pas du même bord politique, ont utilisé les mêmes méthodes à leur propre profit. Si cela leur a été sévèrement reproché en son temps, ça ne les a pas empêchés de poursuivre leur carrière politique. Pas un ou pas une n'a été définitivement écarté-e pour de telles "bévues". Au final, cet épilogue relativise considérablement l'épouvante observé - et entretenu à dessein - au moment des faits. A cet égard, aucun des tenors de l'opposition n'a mis la main dans la polémique. Publiquement.
Le remaniement gouvernemental, annoncé depuis plusieurs jours, va-t-il permettre à Valls de sortir de l'ornière par le haut ? Il est présenté comme "technique". Il s'agit de trouver un ou une remplaçant-e à Geneviève Fioraso qui a donné sa démission du gouvernement (secrétaire d'Etat à l'enseignement supérieur et à la recherche) en mars, pour "raisons de santé", et un successeur à Carole Delga qui va quitter ses fonctions de secrétaire d'Etat au commerce pour conduire la campagne socialiste des régionales en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées.
Donner un signe à une partie de l'électorat de gauche
Mais de "technique", ce remaniement peut-il devenir "politique" ? C'est-à-dire prendre une dimension plus importante, moins dans le nombre de postes concernés que pour la qualité et la notoriété des impétrants, hommes ou femmes. Même si ce n'est pas l'hypothèse la plus en vogue parmi les observateurs, elle ne peut, toutefois, pas être écartée en raison, justement, de la semaine berlinoise. S'y ajoute aussi, maintenant, un nouvel élément : la défaite de Gilles Pargneaux, premier secrétaire de la fédération du PS du Nord depuis dix ans et candidat de Martine Aubry, battu à ce poste, le 11 juin, par Martine Filleul, conseillère générale soutenue par Patrick Kanner, ministre de la ville, et... adjointe à la mairie de Lille.
Cet échec de Pargneaux affaiblit Aubry. Il est, en partie, le résultat de vieilles rancoeurs au sein de cette fédération PS - l'une des plus puissantes de France -, les fidèles de feu Pierre Mauroy, maire de Lille de 1973 à 2001, n'ayant jamais accepté la prise de la ville par le fille de Jacques Delors. Le problème est qu'Aubry a rallié, avant le congrès de Poitiers, la motion Cambadélis - celle soutenue par le gouvernement -, privant ainsi les "frondeurs" du parti d'une figure de proue dont ils avaient grandement besoin. Ce ralliement à la motion devenue majoritaire s'est fait, dit-on, sans contrepartie...
Stratégiquement, cependant, le choix d'un ou d'une ministre aubryste à l'occasion de ce remaniement "technico-politique" aurait un certain sens, au moins pour donner un signe à une partie de l'électorat de gauche. L'entrée de Martine Aubry elle-même au gouvernement, dans cette hypothèse, ne paraît pas la plus probable tant Hollande devrait lui octroyer un poste à sa mesure, c'est-à-dire autre chose que l'enseignement supérieur ou le commerce. Et si c'était le cas, ce choc serait de nature à permettre l'abandon de la séquence communication pour reparler politique. Enfin !