L'affaire de famille n'est pas encore terminée au Front national. Marginalisé par sa fille depuis des mois, Jean-Marie Le Pen a organisé une contre-offensive à coups de provocations, de déclarations antisémites et homophobes ou de jugements familiaux définitifs. Résultat : le président d'honneur du FN a finalement été suspendu de son titre d'adhérent du parti d'extrême droite. Une situation pour le moins cocasse !
Non content d'avoir "répudié" sa fille et de lui avoir conseillée d'épouser son "concubin" - Louis Aliot, vice-président du parti - ou bien "M. Philippot - autre vice-président - afin de changer de nom, Le Pen père a annoncé, le 11 mai, au micro de Radio-Courtoisie, carrefour médiatique de la droite extrême, son intention de créer une "nouvelle formation".
Il assure que celle-ci ne sera "pas concurrente" du Front national. Comme dirait l'autre, cette déclaration main sur le coeur n'engage, évidemment, que ceux qui l'écoutent. Comme lui accorder un quelconque crédit quand on se souvient que, quelque jours auparavant, le patriarche de l'extrême droite avait déclaré qu'il était opposé à la victoire de Marine Le Pen en 2017.
La dialectique homophobe marche toujours bien
Le meilleur moyen d'y être opposé étant de l'empêcher, il est facilement imaginable qu'il va, à partir de maintenant, tout faire pour mettre des bâtons dans les roues de sa fille et multiplier les opérations de division à l'intérieur du parti dont il fut l'un des fondateurs. En cela, il sera fidèle à l'action politique qu'il mène depuis près de 60 ans : surtout ne jamais se donner les moyens d'accéder au pouvoir.
Son premier angle d'attaque porte un nom : Florian Philippot. Le Pen père a laissé libre cours à son homophobie en s'en prenant au vice-présent du FN et à ses "mignons". Le référence historique à Henri III a pour but, non seulement, de cibler son "homosexualité" mais aussi de reprendre un thème cher aux franges les plus radicales de l'extrême droite sur l'existence d'un "lobby gay" au sein du Front national.
Jean-Marie Le Pen sait fort bien que cette dialectique homophobe marche toujours bien chez les militants du parti. A défaut de pouvoir s'appuyer sur l'encadrement du FN profondément remanié par sa fille depuis qu'elle est présidente, pour être à sa main, il tente d'en appeler à la base, en s'appuyant sur des "valeurs sûres" de l'extrême droite. Il sait pouvoir trouver des appuis et des relais chez d'anciens frontistes en rupture de ban.
Tenter de faire exploser l'adversaire de l'intérieur
Deux d'entre eux sont sur les rangs. Carl Lang, ancien secrétaire général du parti et "anti-mariniste", fondateur d'un goupuscule baptisé Parti de la France, et Yvan Benedetti, ancien patron de l'ex-Oeuvre française, organisation pétainiste et antisémite, sont déjà partants pour opérer un rapprochement avec l'ancien pilier du Front national, aujourd'hui dégradé sur le front des troupes.
Le Front national n'étant pas différents de tous les autres partis ou de toutes les collectivités, les rivalités internes vont vraisemblablement se faire jour dans les prochains temps. Les rivaux de Philippot, qui le voient prendre trop de place au sein du parti et à côté de sa présidente, ne manqueront certainement pas l'occasion de lui faire quelques crocs-en-jambe. Le patron ou la patronne d'une organisation n'est jamais vraiment mécontent(e) qu'un second soit diminué !
C'est dans les semaines et les mois à venir que Le Pen père va voir si son pouvoir de nuisance a encore de l'effet ou s'il est passé de mode. Il va reprendre une stratégie qu'il a rôdé pendant des dizaines d'années contre la droite, avec un certain succès : tenter de faire exploser l'adversaire de l'intérieur. Le RPR, puis l'UMP, l'ont appris à leur détriment, faute d'avoir compris assez vite qu'ils étaient, successivement, l'ennemi principal du FN.
L'état major tente de banaliser au maximum les sorties
A force de provocations fondées sur l'antisémitisme et l'homophobie, Jean-Marie Le Pen va tenter de miner le Front national. L'issue logique d'une telle tactique devrait être, au final, son éviction pure et simple. On ne peut pas tout à fait exclure qu'il recherche délibéremment à se mettre dans cette position de proscrit pour mieux se faire passer pour la victime de sa fille et de son entourage, celui-ci "manipulant" celle-là, selon lui.
Mine de rien, l'histoire n'étant pas terminée, l'affaire de famille lepéniste va peut-être avoir des conséquences inattendues sur les rapports de forces de l'échiquier politique. Il n'est pas improbable, en effet, que la querelle interne au Front national ait des effets collatéraux néfastes en termes d'image et d'intentions de vote. En tout cas, l'état major du parti semble le craindre : il banalise au maximum les sorties du patriarche.
Du PS à l'UMP, on n'espérait pas une telle zizanie de ce côté de l'éventail politique. Ce méli-mélo familial ajouté aux affaires diverses de financement ou de magot caché qui s'accumulent au FN ne peuvent que réjouir ses adversaires. Pourtant, ceux-ci auraient tort de croire que les déconvenues actuelles de l'extrême droite les sortent de l'ornière. Non seulement, ils n'ont pas encore trouvé le bon angle d'attaque contre l'extrême droite mais, en plus, ils n'ont résolu aucun des problèmes qui favorisent son développement.