Derrière un scrutin peut s'en cacher un autre ! Les départementales sont des élections à tiroirs. Surtout à l'UMP. Le premier parti de l'opposition républicaine va sortir renforcé, dimanche 29 mars, du second tour de cette consultation nationale : il va augmenter de façon conséquente le nombre de "ses conseils généraux".
La question est de savoir qui, au sein de l'UMP, pourra se prévaloir de cette victoire. Au soir du premier tour, le bon résultat de l'UMP et ses alliés a été attribué à Nicolas Sarkozy. Comme chef de parti, l'ancien président de la République pouvait légitimement revendiquer la palme du rassembleur de la droite.
Autant il avait raté son retour après son élection à la tête de l'UMP, autant il a franchi avec succès l'obstacle électoral du 22 mars - même si les binômes de l'UMP sont largement devancés par ceux du Front national en nombre de voix. Car l'alliance de la droite et du centre, dans toute sa diversité, sort très nettement en tête de ces élections. Une alliance chère à Alain Juppé.
Juppé, héraut de l'alliance avec le centre
Et c'est justement autour de l'expression "alliance de la droite et du centre" que se cristallisent les divergences au sein de l'UMP. Si elles s'expriment à façon mouchetée depuis plusieurs mois, elles feront le coeur du combat de demain entre les deux principaux protagonistes du moment : Sarkozy et Juppé.
Il ne faut pas s'y tromper. Sur le plan stratégique, la victoire relative de l'UMP, le 22 mars, est moins de l'ancien chef de l'Etat que celle du maire de Bordeaux. Celui qui n'hésite pas à se faire siffler et huer, sous l'oeil gourmand de son compagnon-adversaire de parti, est bien le héraut emblématique de cette union de la droite et du centre.
Sarkozy s'est plutôt illustré, depuis sa défaite présidentielle, par sa détestation de François Bayrou et de la famille centriste qu'il représente, le Modem. A ses yeux, le Béarnais est l'architecte de son échec de 2012. En conséquence, il se méfie de "l'esprit centriste" autant que Chirac se défiait de "l'esprit MRP", ce parti centriste démocrate-chrétien. On ne renie pas ses origines.
Sarkozy veut d'abord rassembler la droite
Il faut dire que dans l'autre sens les "demo-chrétiens" lui rendent bien cette défiance. Qu'ils soient du Modem, bien sûr, mais également de l'UDI, les centristes n'ont qu'une confiance extrêmement limitée en Sarkozy et ses convictions républicaines à géométrie variable. Ils n'ont pas oublié la dérive droitière de la campagne présidentielle impulsée par le sulfureux Buisson, aujourd'hui en disgrâce.
Ses dernières prises de position contre les repas de substitution dans les cantines des écoles publiques pour les enfants de confession musulmane ne vont sûrement pas arranger les choses. Ni avec les centriste, ni avec une partie des dirigeants de l'UMP. C'est déjà le cas avec Juppé. En meeting à Pessac (Gironde), le maire de Bordeaux l'a, indirectement renvoyé dans ses buts.
Cette volonté de Sarkozy de "cliver" dans le but d'agréger autour de lui un électorat UMP toujours plus attiré par le Front national ne peut avoir que des effets négatifs sur le pôle centriste de l'opposition. A contrario, la politique d'apaisement de Juppé a sûrement l'effet inverse. D'autant qu'il n'a cessé de prêcher l'union dans la campagne des départementales. Dans la majorité des cas, celle-ci était une réalité. Même avec le Modem.
Les centristes joueront-ils l'autonomie ?
D'une certaine manière, cette consultation est un tour de chauffe pour les deux principaux protagonistes (actuellement) de la future primaire de 2016. La stratégie de chacun des deux va bien sûr s'affiner au fil des mois mais, d'ores et déjà, les fondamentaux sont en place. Un coeur de cible droite-droite pour l'un, un objectif droite-centre pour l'autre. Et paradoxalement, l'un et l'autre devront infléchir leur discours pour élargir leur assise et mordre sur le stock des sympathisants de l'autre.
Ainsi, Sarkozy devra bien envoyer quelques signes conciliants aux centristes pour les amadouer tandis que Juppé sera conduit à donner des gages à l'aile dure de l'UMP pour la rassurer. L'exercice sera aussi compliqué pour l'un que pour l'autre tant les deux camps vont se figer à l'approche de la consultation interne. D'autant qu'une hypothèque de taille n'est pas encore levée : les centristes joueront-ils l'autonomie à la présidentielle ou accepteront-ils de passer sous les fourches caudines de l'un des champions de l'UMP ?
L'histoire de la Ve République montre que de Lecanuet à Bayrou, en passant par Poher, Giscard d'Estaing, Barre et Balladur, une sensibilité centriste mâtinée de démocratie-chrétienne a toujours été au rendez-vous présidentiel de 1965 à 2012. Il est vrai que pendant cette cinquantaine d'année, le tripartisme équilibré auquel rêvait les hommes du centre n'a jamais vu le jour. Aujourd'hui, il semble s'être installé mais c'est avec l'extrême droite comme troisième larron. Ce séisme de taille modifiera-t-il la donne pour les centristes ? Et leur attitude ? Les questions valent d'être posées.