Personne ne le crie sur les toits mais la campagne de la primaire présidentielle a bel et bien commencé à droite. Les trois principaux prétendants de cette course interne - Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon - étaient dans les starting-blocks depuis des mois. Prêts à s'élancer. C'est maintenant chose faite. Les protagonistes se sont lancés dans une course de fond avec des objectifs différents.
Tous les trois se sont montrés au Salon de l'agriculture, sorte d'étape obligée pour les aspirants à la magistrature suprême. Et encore plus s'ils sont de droite, tant le monde paysan est câliné par l'extrême droite qui y trouve un écho électoral à ses diatribes anti-bruxelloises. La profession agricole n'occupe plus aujourd'hui que 3,3% de la population active totale mais elle a un fort poids économique et elle reste extrêmement présente dans l'inconscient collectif.
S'ils ont en commun d'avoir fait le détour par la porte de Versailles, à Paris, pour montrer aux agriculteurs tout l'intérêt qu'ils portent à leurs inquiétudes, Sarkozy, Juppé et Fillon ont, cependant pour le moment, des stratégies très éloignées les unes des autres dans cette pré-compétition présidentielle au sein de l'UMP. La raison est simple : ils ont chacun des atouts et des handicaps différents. Ils tentent donc de valoriser les uns et de surmonter les autres.
Sarkozy cultive son coeur de cible militant
Sarkozy a une situation nouvelle au sein de la droite. Après avoir patiemment creusé son sillon à partir de 2002 - il a eu sa traversée du désert après la défaite de Balladur à la présidentielle de 1995 -, il s'est rendu incontournable jusqu'à devenir incontesté en 2007. Il s'est imposé à la droite et au centre pendant tout son quinquennat mais sa défaite de 2012 l'a fait tomber de son piedestal. Il pensait retrouver son magistère après deux années de purgatoire. Las ! Aujourd'hui, il n'est plus la statue du Commandeur de la droite... et du centre.
S'il est encore plébiscité par les militants UMP - sa cote a cependant subi une forte dépréciation depuis son retour dans l'arène -, il n'en va pas de même chez les sympathisants de droite qui englobent ceux du centre. Quant à l'ensemble de l'électorat, il ne vaut mieux pas en parler (ce qui tombe bien car il ne sera pas concerné par la primaire à droite) car seul un Français sur cinq (22%) souhaite le voir revenir aux affaires.
Sa stratégie consiste donc à cultiver, prioritairement, son coeur de cible militant, en écartant de façon recurrente tout rapprochement avec Bayrou. Il estime que le patron du Modem est le principal responsable de son échec de 2012. Par ailleurs, il se considère moins président de l'UMP qu'ancien président de la République. Le seul interlocuteur à sa portée est, par conséquent, le chef de l'Etat en exercice... même s'il a une piètre opinion de Hollande.
Juppé ratisse le plus loin possible au centre
Face à cette stratégie d'ignorance de ses rivaux internes, Juppé a choisi de ratisser large. Il sait qu'il est difficle pour lui d'être majoritaire dans la famille militante UMP. Aussi consacre-t-il l'essentiel de son énergie à rassembler inlassablement les sympathisants de la droite et du centre jusqu'aux amis de Bayrou. Cette ligne, à chaque fois qu'il l'exprime dans les cénacles militants, lui vaut une bronca qui, soit dit en passant, ravi Sarkozy.
Mais ce dégagement oratoire est devenue une telle figure imposée des interventions du maire de Bordeaux qu'elle a pour fonction de bien l'installer au centre de l'échiquier. Juppé sait, en effet, qu'il ne pourra gagner la primaire à droite qu'avec le soutien des électeurs et des sympathisants centristes effrayés par le discours "attrape-tout" de Sarkozy. Et surtout, en l'occurence, attrape-tout ce qui se trouve sur sa droite.
C'est pourquoi celui que Chirac considérait comme "le meilleur d'entre nous" - à savoir le meilleur de la troupe néo-gaulliste - a décidé d'attaquer frontalement l'extrême droite. Des trois prétendants, il est celui qui tient le discours le plus clair et le plus invariant face au Front national. Contre le FN, devrait-on plutôt écrire. L'exercice n'est pas aisé tant la base UMP se sent des attirances pour les thèses de Marine Le Pen. Mais Juppé sait que ce positionnement - sincère - lui vaut des sympathies au-delà de la droite modérée et du centre.
Fillon se consacre à son programme de rupture
La stratégie suivie par Fillon se distingue de celle des deux autres par le simple fait que l'ancien premier ministre est très nettement distancé dans les sondages d'opinion par Sarkozy et Juppé. Tant chez les sympathisants UMP que parmi les électeurs de droite. Il doit remonter un handicap considérable qui est non seulement dû aux séquelles de sa bataille contre Copé pour la présidence de l'UMP mais également à ses atermoiements politiques, notamment sur la position à adopter face au FN.
En conséquence, il a opté pour la définition et la déclinaison d'un programme en bon et due forme car il doit rebâtir entièrement son personnage. Il doit se débarasser de l'image du "collaborateur" soumis à Sarkozy qui lui a collé à la peau pendant un quinquennat. C'est pourquoi, il se fait l'apôtre d'un projet politique de rupture. Sous-entendu de rupture avec Hollande... et Sarkozy. Fils spirituel d'un gaullisme social qui était défendu par Philippe Séguin, Fillon a décidé de changer de voie pour s'engager dans un libéralisme assumé.
Assurément cette troisième stratégie est la plus difficile à porter. Et sans doute, elle sera la plus longue à porter ses fruits même si l'ex-chef du gouvernement fait le pari que la société française finira par conjuguer son refus des contraintes de toutes natures avec un désir - supposé ? - de libéralisme économique. A l'évidence, Fillon part de plus loin que ses deux concurrents mais il sera peut-être moins exposé sous le projecteur. Reste à savoir s'il pourra transformer son handicap en atout au moment de l'affrontement Sarkozy-Juppé.