Les médias n'aiment pas reconnaitre leurs erreurs ! Comme tous les autres corps de la société. Sauf qu'eux se fixent pour objectif de décrypter, analyser, expliquer, voire prescrire pour l'opinion. Ce n'est pas la fonction de tous les autres corps de la société. Les éditorialistes, les chroniqueurs et les blogueurs professionnels ont du mal à dire, quand c'est le cas, qu'ils se sont trompés. Un démenti sera toujours moins en vue qu'une "information"... qui s'avèrera fausse. Il faut s'y faire.
Les médias n'aiment pas se tromper. Cette maxime a trouvé un début d'illustration avec le passage de François Hollande, le 6 novembre sur TF1, qui a été décrit unanimement par la presse comme un échec. La quasi-totalité des éditorialistes n'avaient pas de mots assez durs pour décrire, au choix, un fiasco ou un naufrage. Emission organisée à l'occasion de la mi-mandat du président de la République, ce face à face du chef de l'Etat avec l'opinion n'aurait donc été qu'un ratage sur toute la ligne.
Mais voilà que trois sondages réalisés après la prestation présidentielle n'apportent aucune confirmation de cette analyse sans appel. Alors qu'aucun élément marquant pouvant être porté au crédit après cette intervention intitulée "En direct avec les Français", ces trois enquêtes mettent en évidence un très léger regain d'opinions favorables pour Hollande. Logiquement, cette émission ratée aurait dû, au mieux pour l'intéressé, faire ressortir des encéphalogrammes plats, et, au pire, accentuer encore le "désamour" de l'opinion à son égard. Or, ce n'est donc pas le cas.
Trois sondages battent en brèche l'avis des "observateurs"
Réalisé les 7 et 8 novembre - soit au début de l'affaire du déjeuner Jouyet-Fillon et immédiatement après ce direct télévisé qualifié de calamiteux -, un premier sondage Ifop pour Match fait apparaître une hausse de 3 points des "bonnes opinions" en faveur de Hollande. Cette embellie est évidemment à relativiser puisque le président passe de la 44e place en octobre (26% d'opinions favorables) à la 42e en novembre (29%) sur les 50 personnalités classées.
La seconde enquête - OpinionWay pour MétroNews et LCI - a été effectuée aux mêmes dates. Là, le chef de l'Etat ne gagne qu'un seul point, passant de 18% à 19% de satisfaits. Enfin, le dernier sondage est de LH2 pour L'Obs : le terrain a été réalisé les 12 et 13 novembre. Il montre que Hollande à gagné 3 points, à 21%, par rapport à la précédente mesure datant des 3 et 4 novembre. Dans les trois cas, ces enquêtes prennent en compte l'impact de l'intervention télévisée du chef de l'Etat... et il n'est pas négatif.
Il serait absurde de tirer une conclusion exactement inverse à celle des éditorialistes, dès le lendemain du 6 novembre. Quand ce n'était pas le soir même de l'émission ! En un peu moins de deux heures de télé, Hollande n'a pas retourné l'opinion publique et, du même coup, sa courbe d'impopularité dont il est difficile de ne pas admettre qu'elle est calamiteuse. Tout au plus peut-on noter qu'il y a manifestement une divergence d'appréciation entre l'opinion et les médias sur le sujet.
On ne sait pas si les Français ont apprécié le format et le concept de l'émission - une alternance entre des questions de journalistes et des face-à-face avec des Français sélectionnés - ou bien la prestation du président du République qui, une fois de plus, avait été présentée par la presse comme une sorte d'opération de la dernière chance pour sauver la seconde moitié du quinquennat. Il faut toutefois souligner que ce n'était pas la première fois qu'une intervention de Hollande était "vendue" sous cette appellation par les "observateurs".
La construction de l'opinion ne passe pas par "l'hystérisation"
Par ailleurs, ces enquêtes ne prédisent rien - ce n'est pas leur rôle - sur l'appréciation que portera l'opinion dans les prochaines semaines sur le chef de l'Etat. Elles révèlent simplement un hiatus au temps T entre le ressenti de l'opinion et l'appréciation des médias. Dans une belle analyse - "Evaluation d'un fiasco ou fiasco de l'évaluation ?" -, Thierry Herrant, spécialiste de la communication et enseignant à Sciences-Po, propose une explication très argumentée de cette distorsion entre la bienveillance des Français et la sévérité des éditorialistes.
"Les opinions cristallisent de plus en plus vite à partir d’indicateurs d’évaluation de moins en moins pertinents", écrit-il, en soulignant l'importance prise par les réseaux sociaux - Twitter, principalement, en l'espèce - dans les analyses faites à chaud par les journalistes. Du reste, le terme "analyse" est sans doute impropre s'agissant de mini-messages de 140 signes rédigés sous l'empire de l'immédiateté et de la concurrence dans l'exagération ou le simplisme.
Dans cette analyse (qu'il faut vraiment lire en entier), notre auteur note que "l’accélération du temps médiatique et la multiplicité des espaces d’expression tendent à provoquer une radicalisation, voire une “hystérisation” des avis". C'est bien contre ce risque d'hystérisation que doivent se prémunir ceux qui prétendent participer à la construction de l'opinion. Certes, Twitter n'est pas encore le lieu idéal pour développer la tempérance tant l'excès est le moteur de la réussite. Pour autant, il n'est pas interdit aux "observateurs" de prendre le recul nécessaire à toute analyse.