"Les élections municipales sont passées par là. La situation économique et sociale va faire le reste". Voilà la réflexion désabusée d'un responsable socialiste, par ailleurs parlementaire, qui prépare le terrain de la défaite sénatoriale de la gauche, dimanche 28 septembre. Cette élection intéresse peu, voire pas du tout, les Français. Ils ont tort. Certes, le Sénat n'a pas fait grand chose pour se rendre attractif au cours des trois dernières années - depuis 2011, il est présidé pour la première fois par un socialiste, Jean-Pierre Bel, qui ne se représente pas -, mais il n'en n'avait pas fait plus dans les décennies précédentes.
Qui se souvient qu'en 1969, le général de Gaulle parlait des "interventions obscures et accessoires" de cette haute assemblée, à la veille du référendum qu'il soumettait à l'électorat sur la régionalisation et... sur la fusion du Sénat avec le Conseil économique et social (CES). Le président de la République fut battu, il quitta aussitôt le pouvoir. Et le Sénat resta. Nicolas Sarkozy qui avait envisagé de reprendre à son compte cette idée de rapprochement de la second chambre avec le CESE (le dernier E est maintenant pour environnemental) l'a finalement laissée dans les cartons. Et le sénat est toujours là.
Le renouvellement de la moitié des 348 sénateurs - 344 actuellement car quatre sièges sont vacants - va, très probablement, faire revenir à droite la seconde chambre du Parlement, une position qu'elle a occupé en permanence depuis le début de la Ve République, à l'exception de la parenthèse 2011-2014.
Encore faut-il remarquer que la majorité de gauche a été si fragile, pour ne pas dire inexistante, pendant cette incise que le travail du Sénat en a été en grande partie paralysé, voire inefficient. A changement de majorité, changement de président. Le prochain titulaire du poste viendra du groupe le plus important de la nouvelle majorité dont il ne fait aucun doute qu'il s'agira de l'UMP.
Assemblée de reconquête ou de cohabitation
Cette perspective a ouvert les appétits à droite depuis plusieurs mois. Gérard Larcher, sénateur des Yvelines, est le premier à s'être lancé dans la bataille, en février. Philippe Marini, sénateur du Val d'Oise, lui a emboîté le pas, en juin. Jean-Pierre Raffarin, sénateur de la Vienne, a été le dernier à entrer en lice, à la mi-septembre. Raffarin a été premier ministre de Jacques Chirac entre 2002 et 2005, Larcher a été ministre de Raffarin et président du Sénat de 2008 à 2011, Marini est l'actuel président de la commission des finances du palais du Luxembourg.
Une primaire interne à l'UMP sera donc organisée au lendemain des élections de dimanche pour départager les trois hommes. Comme en 2008. Il y a six ans, c'est Larcher qui l'avait emporté avec 78 voix de sénateurs, devant Raffarin (56 suffrages) et Marini (17), ce qui lui avait permis de conquérir le "plateau", l'équivalent du "perchoir" de l'Assemblée nationale où siège le président. Bis repetita placent ?
La permanence du casting à droite pour la bataille du "plateau" n'est pas la preuve éclatante du renouvellement d'un personnel politique qui occupe le devant de la scène depuis deux décennies. Il se trouve pourtant que si les acteurs sont les mêmes, les enjeux, eux, sont de nature différente. En 2008, Nicolas Sarkozy était président de la République depuis 16 mois et il s'agissait surtout d'accompagner les réformes du début du quinquennat, Sénat et Assemblée nationale étant alors de la même couleur politique que le chef de l'Etat. En 2014, François Hollande est à l'Elysée depuis 28 mois, son prédécesseur vient officiellement d'annoncer son retour et le Sénat va devenir un pôle d'opposition face au pouvoir exécutif.
Dans ces conditions, non seulement une sorte de cohabitation d'un nouveau type va s'installer mais la chambre haute va être un point d'appui pour ceux qui, à droite, ont en ligne de mire la prise du pouvoir à la tête de l'UMP et, non accessoirement, l'élection présidentielle de 2017. On comprend, dès lors, que ce "ceux" se réduit plutôt à un "celui" puisque seul Sarkozy brigue la présidence du premier parti de l'opposition et vise, sans dire encore ouvertement par quel moyen - primaire ouverte ou fermée -, un nouveau bail élyséen. Le Sénat, par la force d'entrainement de milliers d'élus locaux, va donc devenir une place forte de reconquête et sa présidence aura, plus encore, une haute valeur stratégique. Surtout avec la réforme territoriale.
Raffarin et Baroin en têtes de pont du sarkozysme ?
A cet égard, l'entrée en campagne tardive de Raffarin est assez significative de cette stratégie. L'ancien premier ministre, qui a soufflé le chaud et le froid à l'égard de Sarkozy, ces dernières années, en en disant assez pour l'égratigner mais en n'en disant pas trop pour ne pas insulter l'avenir - ce qui est la marque d'une belle habileté diplomatique -, s'est rangé clairement, cette fois, derrière l'ancien chef de l'Etat depuis l'orchestration de son retour. Marini, qui est un sarkozyste assumé depuis le début, pourrait tirer un certain dépit de l'arrivée soudaine de cet "ouvrier de la 25e heure". Larcher, pour sa part, a bien pris soin de se tenir éloigné de ce jeu - "ce sont les sénateurs et uniquement eux qui choisiront", glisse-t-il dans un entretien au site Atlantico - comme pour mieux signifier qu'il a compris le manège.
Ce n'est pas faire injure à Marini de constater que, dans cette histoire, il risque d'être pris entre le marteau et l'enclume. Ce n'est pas non plus une révélation de noter que Raffarin façon sarkozyste est surtout le candidat des médias avec lesquels ils entretient des relations suivies depuis des années. Enfin, ce n'est pas désobligeant d'avancer que Larcher est certainement moins "glamour" mais qu'il a plus le profil d'un président de cohabitation que celui d'un chef de guerre. Et de toute évidence, Sarkozy a moins besoin d'un artisan de la cohabitation que d'un organisateur de la reconquête.
C'est aussi à cette aune qu'il faut analyser la bataille du "plateau" que vont se livrer ces trois hommes, le 1er octobre, au sein du groupe UMP (130 membres actuellement) qui va peut-être se renforcer de deux dizaines de sénateurs... au moins. L'arrivée de François Baroin, aujourd'hui député de l'Aube, sur les bancs du Sénat participe, elle aussi, de la stratégie sarkozyste de prise de contrôle de la haute assemblée. Longtemps opposé à Sarkozy par fidélité à Chirac et adepte de la neutralité pour être potentiellement premier ministre de tous les candidats UMP à la présidence de la République, Baroin a finalement opté, le chiraquisme faisant maintenant partie du passé, pour le sarkozysme. Il s'est rallié publiquement au futur chef du parti, en éreintant au passage ses deux principaux concurrents futurs, Juppé et Fillon. Il n'entrera probablement pas au Sénat pour y faire de la figuration.
Du nom du candidat qui sortira du chapeau lors du scrutin interne à l'UMP dépendra l'avenir et l'attitude du Sénat vis-à-vis de Hollande et de l'ensemble de l'exécutif jusqu'en 2017. Comme dans toutes les compétitions de ce genre, les personnages principaux et leurs partisans respectifs jouent au poker menteur et prêchent le faux pour savoir le vrai. Ici, on distille gentiment que les deux dernières présidences (Larcher et Bel) se sont soldées par un échec, c'est-à-dire un changement de majorité. Là, on rétorque qu'en matière d'échec, on a beaucoup à apprendre d'un premier ministre (Raffarin) qui s'est fait renvoyer de Matignon à la suite de la victoire du "non" au référendum sur le projet de Constitution européenne, en 2005. Comme dirait l'autre : "l'union est un combat" !