Les opposants au sein du Parti socialiste : combien de divisions ?

Pupitre d'un meeting d'Edouard Martin, candidat socialiste aux européennes, le 25 janvier 2014 à Nancy (Meurthe-et-Moselle). (MAXPPP)

Voilà bientôt trois mois que Manuel Valls est chef du gouvernement. Nommé premier ministre par François Hollande le 31 mars, il attaquera son quatrième mois à Matignon le jour de l'ouverture de la session extraordinaire du Parlement convoquée par décret publié au Journal officiel. D'ores et déjà, les députés vont examiner, entre autres textes, le projet de loi de finances rectificative pour 2014 (PLFR). Ensuite, il y aura le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2014 (PLFRSS) ainsi que le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. De gros morceaux qui vont donner matière aux oppositions de s'exprimer.

On pense bien sûr, en premier lieu, à l'opposition de la droite parlementaire. Mais celle-là sera assez convenue. Bien qu'il soit fragilisé par une des ramifications de l'affaire Bygmalion, le groupe UMP mènera une bataille de principe contre le collectif budgétaire (PLFR) et contre le collectif social (PLFRSS) mais il concentrera certainement ses coups contre le texte plus médiatique consacré au découpage régional et à ses annexes. En revanche, l'opposition au sein de la gauche sera certainement observée avec beaucoup plus d'attention par Valls et Hollande.

Les frondeurs sont 80... sur le papier

Le secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement a donné un aperçu de cet intérêt de l'exécutif, en avertissant les députés "soi-disant socialistes" qui seraient tentés de combattre les textes budgétaires... jusqu'à les rejeter. Si c'était le cas, "il y aurait indiscutablement un problème nouveau", a prévenu Jean-Marie Le Guen. Et de conclure que les dissidents en question devraient alors "assumer leur responsabilité", sans préciser plus avant ce que cela signifie. Jusqu'ici, les députés opposants n'en sont pas arrivés à cette extrémité sur le vote des textes que le gouvernement juge primordiaux.

Après avoir annoncé, début avril, qu'ils étaient une centaine à réclamer un "nouveau contrat de majorité" au successeur de Jean-Marc Ayrault à Matignon et qu'ils posaient leurs conditions pour lui accorder leur confiance, ils ont diffusé une liste de 90 noms. Et parmi eux, tous ne sont pas députés nationaux : il y a 5 députés européens après le renouvellement du 25 mai (Guillaume Ballas, Pervenche Bérès, Emmanuel Maurel, Gilles Pargneaux et Isabelle Thomas), une sénatrice (Marie-Noëlle Lienemann), un conseiller régional (François Kalfon). Un des signataires, Jérôme Guedj, a rendu son siège de député à François Lamy, ancien ministre dont il était le suppléant; un autre, Jérôme Lambert, a quitté le groupe socialiste pour rejoindre le groupe radical (RRDP) et un dernier, Christian Eckert, est entré au gouvernement au poste de secrétaire d'Etat au budget. Dans un groupe de 290 députés, au bout du compte, les frondeurs sont 80... sur le papier !

Des oppositions sans chef et sans stratégie

Ces opposants à Valls et à la politique de l'offre de Hollande ont déjà eu deux occasions de se compter. Après la déclaration de politique générale du premier ministre, 11 d'entre eux se sont abstenus de lui accorder leur confiance mais formellement aucun n'a voté contre le gouvernement. Cela n'a pas été le cas lors du vote sur le projet de programme de stabilité 2014-2017 (celui qui inclut les 50 milliards d'euros d'économies que visent le gouvernement) où 3 députés du groupe ont voté contre (Marie-Françoise Bechtel, Christian Hutin et Jean-Luc Laurent) et 41 autres fondeurs ont opté pour l'abstention. De l'intention pétitionnaire à la réalité du vote dissident, l'opposition s'est donc quelque peu effritée passant d'un peu plus d'un quart du groupe (27,6%) à 15,2%.

Ce pourcentage, même s'il n'est pas négligeable, relativise quand même la puissance de la fronde. En l'état, elle ne semble pas inquiéter outre mesure la direction du PS. Celle-ci, de toute évidence, présente l'affaire comme un débat contradictoire interne tout à fait normal au PS. Une manière élégante de faire une place aux lignes divergentes à l'intérieur du parti - mais seulement à l'intérieur du parti - sans humilier les opposants, ce que Le Guen a maladroitement voulu souligner en indiquant que ces oppositions ne devaient pas déborder dans les travées de l'Assemblée. En même temps, le nouveau patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, joue sur du velours : il connait, sur le bout des doigts, les jeux et les manoeuvres d'appareil. Et il sait, en la circonstance, que les oppositions se neutralisent les unes les autres, ce qui n'est pas, pour elles, un gage d'agrégation rapide.

D'autant qu'il y a, au Parti socialiste, deux sortes d'oppositions : celles qui sont constituées autour de courants et celles qui s'articulent autour de personnalités. Parfois les deux se chevauchent, parfois elles se confondent, parfois elles se combattent ! Petite revue d'effectifs.

1 Les Filochards

C'est le nom qui était donné aux amis de Gérard Filoche quand il militait au sein de l'extrême gauche trotskiste - la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) d'Alain Krivine - de la fin des années 1960 jusqu'au milieu des années 1990. Très actif sur Twitter où il n'hésite pas à se colleter verbalement avec ses contradicteurs, il anime la revue Démocratie & Socialisme qui parle beaucoup de... Gérard Filoche. Cette revue militante importée de la LCR exprimait, à l'origine, les idées du courant de la Gauche socialiste représentée alors, notamment, par Jean-Luc Mélenchon, Julien Dray et Marie-Noëlle Lienemann.

Eternel minoritaire, expert en scission et personnage attachant, Filoche est l'archétype du "syndicaliste révolutionnaire" : porte-parole infatigable des luttes sociales en tous genres, il développe un discours gauchiste un brin démago qui plait bien à une partie de la base du parti. Indéfectiblement accroché au rêve d'une alliance rouge-rose-verte avec Mélenchon et Duflot, il veut (se) persuader que cette construction de gauche est majoritaire dans le pays. Membre du Conseil national du PS, Filoche est un opposant inconditionnel à Valls qu'il considère comme un homme de droite et dont il veut mettre le gouvernement en minorité à l'Assemblée... où il ne siège pas.

2 Maintenant la gauche

Ce courant a comme chef de file Emmanuel Maurel. Conseiller régional d'Ile-de-France depuis 2004, il a été élu député européen le 25 mai. Maintenant la gauche a perdu son représentant médiatique à l'Assemblée, Jérôme Guedj, qui a rendu son siège à François Lamy après la formation du gouvernement Valls. Les principaux responsables de ce courant - Lienemann et Dray - sont les porte-drapeau de l'opposition au libéralisme en marche qu'ils estiment déceler chez le successeur de Ayrault.

A l'occasion du congrès socialiste de Toulouse, en octobre 2012, Maurel et Filoche, chacun porteur d'une contribution, s'étaient rapprochés pour se retrouver dans la même motion. Celle-ci donne le ton de l'orientation économique prônée par les signataires quand elle indique : "Le déficit qui doit être d’abord résorbé, c’est celui de nos emplois industriels, celui de notre balance commerciale. La réduction des déficits ne peut se faire à l’encontre des salariés". Cette affirmation s'oppose frontalement à la volonté vallsienne de réduire de 50 milliards la dépense publique d'ici à la fin du quinquennat.

3 Les Emmanuellistes

En dehors d'Henri Emmanuelli lui-même, ancien ministre sous François Mitterrand, éphémère premier secrétaire du PS entre Rocard et Jospin, ce courant compte, notamment, les députés Pouria Amirshahi, un des initiateurs de "l'Appel des 100", et Pascal Cherki qui a comparé Hollande à un "roi d'opérette". Les sociaux-démocrates du parti considèrent, avec un peu d'emphase, que ce courant représente "l'extrême gauche parlementaire". Une bonne partie des 11 abstentionnistes sur le vote de confiance à Valls appartiennent à cette mouvance.

Ils espéraient que Benoît Hamon, qui était le chef de file de l'aile gauche du PS avant la victoire présidentielle de 2012, sortirait du gouvernement, comme les Verts, à l'occasion du remplacement de Ayrault par Valls. Ce qui n'a pas été le cas. Un certain nombre d'entre eux peuvent en former un "sentiment de trahison", selon un dirigeant socialiste.

4 La gauche populaire

Ce groupe comptait, à l'origine, une vingtaine de députés conduits par Laurent Baumel, qui assure représenter le courant des "vrais sociaux-démocrates de la majorité", et par le conseiller régional François Kalfon, chargé des élections et des études d'opinion au PS. Ils n'ont pas ménagé Ayrault quand il était à Matignon mais le courant semble avoir explosé avec l'arrivée de Valls.

Si Baumel demeure en opposition avec la politique proposée par le nouveau chef du gouvernement, en revanche Kalfon se rangerait plutôt maintenant dans la catégorie des Vallsistes avec Philippe Doucet, député et ancien maire d'Argenteuil (Val d'Oise), battu aux dernières municipales. Les deux anciens chefs de file rassemblent derrière eux 8 à 10 députés chacun.

5 Les personnalités-phares

Plusieurs députés cherchent à sortir du lot, soit pour jouer le rôle de leader d'une opposition qui en manque cruellement compte tenu de son hétérogénéité, soit pour pousser une tête d'affiche du parti à prendre les rennes de cette opposition composite.

Parmi elles, on note la présence de Christian Paul, dont les liens se sont distendus avec Martine Aubry, partisan d'une politique alternative comme celle que proposa Arnaud Montebourg, de Jean-Marc Germain qu'on dit convaincu par la nécessité de réduire drastiquement la dépense publique, ou de Pierre-Alain Muet, qui fut l'économiste de Jospin à Matignon (1997-2002), opposant à la politique de l'offre...

Au final, ces oppositions, éparpillées et hétéroclites, paraissent manquer d'un chef de file et manquer d'une stratégie. Cela fait dire à un dirigeant du parti que "le pôle de radicalité n'a pas encore trouvé son point d'appui". Un autre considère que les amendements déposés par les frondeurs à titre individuel, sans avoir été discutés devant le groupe, seront repoussés pendant le débat sur le collectif budgétaire (PLFR).

Parmi les 290 députés du groupe PS, un soutien de Valls estime qu'il pourrait y avoir "une trentaine d'abstentionnistes" sur ce PLFR et il ajoute ironique : "Le matador aura tauréé... On se donnera rendez-vous à l'automne".

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu