Comment faire l'union... séparément ? Après avoir joué pendant plusieurs mois au chat et à la souris, Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent ont-ils décidé, chacun de son côté, de tirer un trait sur l'expérience du Front de gauche ? Ou à tout le moins de clarifier la conception que chacun d'entre eux en a.
Et manifestement, il apparait que le co-président du Parti de gauche (PG) et le secrétaire national du Parti communiste (PCF) imaginent différemment cette union de la gauche de la gauche. La préparation des élections municipales avait bien montré qu'il y avait de l'eau dans le gaz entre les deux hommes et la tenue d'un Conseil national du PG, les 14 et 15 juin, a confirmé que l'heure d'un premier bilan avait sonné.
Beaucoup mieux implanté dans les conseils municipaux que les amis de Mélenchon, les communistes avaient fréquemment privilégié leurs alliances existantes avec les socialistes au détriment de listes autonomes et indépendantes labellisées Front de gauche, en partenariat avec le PG. Pour ce dernier, le coup le plus dur à encaisser avait été le choix des communistes parisiens de s'associer avec Anne Hidalgo, candidate du PS à la mairie de la capitale, qui l'a finalement emporté, en mars dernier, face à NKM, la prétendante de l'UMP.
En opposition totale avec ceux qu'il appelle les "solfériniens" (pour dirigeants du Parti socialistes dont le siège est rue de Solférino, à Paris), le Parti de gauche avait fait cavalier seul et il n'avait eu qu'une seule élue, Danielle Simonnet, au Conseil de Paris. Celle-ci est désormais conseillère "non-inscrite" au sein de cette assemblée.
Appels répétés aux amis de Cécile Duflot
Ailleurs, partout où cela avait été possible, le PG s'était allié au PCF. Mais c'est à Grenoble où le maire socialiste sortant, Michel Destot, ne se représentait pas, qu'il a fait un pied de nez à son allié "naturel" et qu'il a renvoyé le PS au vestiaire. Il était associé à Eric Piolle (EELV) qui a remporté la ville dans la cadre d'une quadrangulaire. L'analyse fine du scrutin qui est faite ici montre, notamment, qu'une augmentation de la participation entre les deux tours dans les quartiers populaires a profité au candidat écolo qui avait intégré des représentants du Parti de gauche sur sa liste... et non pas à la liste d'union PS-PCF.
Cette constatation n'a certainement pas échappé à Mélenchon qui, depuis ces échanges de mots aigres-doux avec Laurent, faisait des appels du pied répétés aux amis de Cécile Duflot. Les ministres écologistes ayant refusé d'intégrer le gouvernement Valls formé après la déroute socialiste des municipales, EELV, leur parti, se montrera-t-il plus sensible aux avances de l'ancien sénateur socialistes réélu député européen dans la circonscription du Sud-Ouest, le 25 mai ? Si la question peut se poser pour les écolos, le co-président du PG leur propose d'ores et déjà une réponse.
Or donc, lors de son dernier Conseil national, le Parti de gauche a appelé à une "refondation" du Front de gauche et à la "convocation d'assises ouvertes", afin de "clarifier sa stratégie électorale" et de "réactualiser son programme", selon les extraits qui ont été mis en ligne sur Facebook par Mélenchon lui-même. La résolution adoptée au cours de cette réunion dresse un bilan assez sévère de la stratégie du Front de gauche. Alors qu'il "devrait plus que jamais incarner la solution crédible", souligne le texte, il "ne progresse pas" et se "retrouve peu ou prou le niveau des européennes de 2009".
"Pire, note ce document, les 11% de la présidentielle de 2012 avec Jean-Luc Mélenchon apparaissent désormais comme un moment isolé." Cette formule est le constat de l'échec d'une stratégie politique puisque que le Front de gauche, en tant que coalition de partis, n'a pas pris le relai du résultat de son candidat lors de ce scrutin. Ni aux municipales où il est parti divisé, ni aux européennes où il n'a que très légèrement progressé par rapport aux élections précédentes : 6,33% contre 6,05%. Dans le même temps, le Front national, bête noire de Mélenchon, a multiplié son score pratiquement par quatre.
"Défendez vos idées, rompez les rangs !"
De façon un peu amère, la résolution note que "la dynamique de révolution citoyenne que nous avions fait naître n'a pas été entretenue par une action cohérente. Elle est retombée et ce n'est pas le Front de gauche qui capte et polarise l'exigence du 'qu'ils s'en aillent tous' ! " L'emploi de cette dernière formule, reprise du titre d'un livre de Mélenchon, tendrait à montrer qu'il s'agit moins d'une auto-critique concernant le PG seul que d'une charge contre son partenaire communiste à l'intérieur du rassemblement partidaire.
Cette impression est confirmée par la convocation d'assises ouvertes, l'appel à la clarification de la stratégie électorale et la réactualisation du programme du Front de gauche. Il serait difficile de faire comprendre plus clairement au PCF que Mélenchon ne veut plus réduire ce rassemblement à un tête-à-tête avec son homologue communiste, qu'il souhaite intégrer de nouveaux partenaires pour lui faire contre-poids et qu'il plaide pour certaines modifications programmatique, par exemple sur la question nucléaire. Dans ce domaine, la position du dirigeant du Parti de gauche est plus proche de celle de Duflot et des écologistes que de celle de Laurent et des communistes qui sont encore sur une ligne pro-nucléaire et productiviste.
A l'évidence, la résolution - au vu des extraits publiés - s'adresse plus aux militants écologistes et aux dissidents socialistes qu'aux adhérents du PCF. Aux premiers, elle indique que "l'avenir n'est pas l'alliance au centre, il est dans la convergence avec l'écosocialisme" et aux seconds, elle lance : "Défendez vos idées, rompez les rangs !"
Dans ces extraits, pas un mot aux militants communistes ou à leurs dirigeants ! Comme si le candidat présidentiel du Front de gauche voulait signifier que sa priorité se porte vers de nouveaux horizons. Comme s'il espérait passer au-dessus des appareils des partis, en s'adressant directement à la base. De ses années de trotskysme, dans la branche lambertiste, Mélenchon a conservé quelques réflexes "basistes" qui rappellent furieusement le front unique. Ces réflexes qu'on rencontre aussi à l'aile gauche du Parti socialiste.