La gauche de la gauche va-t-elle être prise à contre-pied par Manuel Valls ? Tout comme l'aile gauche du Parti socialiste ? La droite va-t-elle être déstabilisée par la pugnacité politique du Premier ministre ? Le centre va-t-il être impressionné par l'engagement du chef du gouvernement qui s'est jeté dans la campagne des européennes avec une vivacité inversement proportionnelle à celle de son prédécesseur, Jean-Marc, Ayrault, dans la campagne des municipales ? En clair, Valls va-t-il parvenir à faire "bouger les lignes" d'un quinquennat que d'aucuns considèrent comme d'ores et déjà plié ? Et, dans l'immédiat, va-t-il réussir à limiter un peu les dégâts pour le PS, en très grande difficulté à l'approche du scrutin du 25 mai ?
Voilà toutes les questions que soulève la stratégie mise en place méthodiquement par le nouveau premier ministre depuis son arrivée à Matignon, après la déroute socialiste des municipales. Après s'être mis dans les pas de Pierre Mendès France - figure morale de la gauche et président du Conseil (pendant 7 mois) sous la IVe République - en voulant tenir "un discours de vérité", l'ancien ministre de l'Intérieur a rompu avec la méthode Ayrault, tant dans le discours que dans la présence médiatique, avant de lancer les bases d'une alliance politique - un "ticket" pourrait-on dire - avec la figure emblématique de la gauche du PS au sein de son gouvernement : Arnaud Montebourg.
Classé à droite par ses détracteurs "de gauche" au sein même de son parti et au-delà, parce qu'il développe tout simplement une social-démocratie à l'allemande, Valls a parfaitement assimilé les leçons de stratégie et de tactique de François Mitterrand. Objet d'un procès permanent en "social-libéralisme" et représentant d'une minorité dans le PS en 2011 - ses adversaires ne se lassent pas de rappeler qu'il obtint 5,63% des voix à la la primaire présidentielle -, le premier ministre a eu le nez de scellé un pacte avec le nouveau ministre de l'économie, Montebourg, qui, lui, avait réalisé 17,19% à cette même primaire socialiste.
Des mesures fiscales pour les plus modestes
Coup sur coup, il a pris deux décisions qui mettent dans l'embarras la plupart de ses opposants. A moins de 10 jours du scrutin européen, Valls a annoncé une mesure d'allègement fiscal "claire, lisible et massive", s'adressant aux contribuables les plus modestes. Selon les données officielles, 1,8 million de ménages, qui étaient devenus imposables en raison des mesures fiscales prise depuis l'arrivée de Hollande à l'Elysée, devraient soit être bénéficiaires de dégrèvements visibles, soit sortir complètement de l'impôt. Et cela dès cette année car la mesure concernerait les revenus 2013.
Alors que dans un premier mouvement, le chef du gouvernement avait laissé entendre que la mesure toucherait 650.000 foyers pour un coût de 500 millions d'euros, il a finalement quasiment triplé le nombre des bénéficiaires en doublant le coût, qui sera supporté par une partie du produit de la lutte contre la fraude fiscale. Désormais, un célibataire avec un revenu fiscal d'environ 14.000 euros n'aurait plus à payer l'impôt sur le revenu. Il en irait de même pour un couple de trois enfants avec environ 38.000 euros de revenus annuels.
Cette annonce fiscale est intervenue 24 heures après la publication au Journal officiel d'un décret faisant la part belle au "patriotisme économique" dont Montebourg est un des chantres. Il se trouve que cette notion est aussi défendue à la gauche de la gauche qu'à la droite de la droite. Le texte prévoit que tout groupe étranger voulant prendre le contrôle d'une entreprise française dans les secteurs de l'énergie, de l'eau, des transports, des télécoms ou de la santé devra obtenir l'autorisation de l'Etat.
La lente et difficile reconquête d'un électorat perdu
Ce décret, dont la conformité doit être examinée par la Commission de Bruxelles, a été critiqué par le président du Medef. Pierre Gattaz craint, officiellement, les retombées négatives pour les exportations françaises et l'on peut peut volontiers imaginer qu'il ne voit pas d'un très bon oeil ce contrôle de la libre concurrence. Cependant, cette régulation étatique du libéralisme économique est approuvée par 7 Français sur 10, selon un sondage de l'institut BVA. Elle est soutenue à une écrasante majorité à gauche (90%) et d'une façon plus modérée à droite (56%). Cette approbation, toutefois, ne rejaillit pas sur Montebourg qui est jugé comme un ministre plutôt "pas efficace" par 65% des personnes interrogées.
Quoi qu'il en soit, ces signaux du Premier ministre peuvent être interprétés comme un coup de barre à gauche destiné à attirer l'attention d'un électorat qui, mécontentement vis à vis de l'exécutif aidant depuis 2 ans, s'est détourné des urnes. Ce recadrage politique est à la fois une manière de marquer une rupture avec la gestion politique façon Ayrault et une façon de dire à cet électorat que son message des municipales - la correction infligée aux socialistes - a été bien entendu. Et cela, contrairement à l'interprétation qui avait été donnée par la gauche du PS et la gauche de la gauche après la nomination de Valls à Matignon.
En recherchant auprès de l'opinion une confiance que 41 députés de son propre parti lui ont refusée à l'Assemblée nationale, le chef du gouvernement tente aussi de mettre ses opposants internes en porte à faux. Ceux-ci, d'ailleurs, ont été pour le moins modérés dans le soutien qu'ils ont manifesté à Valls après l'annonce de ses mesures fiscales et de régulation économique. Auraient-ils eu peur de se déjuger publiquement ? Cette inflexion sera-telle de nature à les ramener à de meilleurs sentiments à son égard ou, à tout le moins, de tempérer leur jugement ? Et qu'en sera-t-il de l'opinion elle-même ? Le Premier ministre en attend probablement moins un résultat spectaculaire aux européennes - quoi que ! - qu'une lente et difficile reconquête d'un électorat perdu... sur les 3 ans à venir.