Le défi : être en tête ! L'objectif actuel majeur de Marine Le Pen est de hisser le Front national à la première place aux élections européennes du 25 mai. La première place en France, bien sûr, car c'est moins l'objet européen du scrutin que son impact national qui intéresse la présidente du parti d'extrême droite.
De fait, le résultat de la consultation comblera peut-être la fille du fondateur du FN tant les sondages donnent une arrivée serrée au soir de l'unique tour. Les enquêtes réalisées en continu par l'Ifop accordent de 22% à 24% d'intentions de vote, selon les jours, au Front national et à l'UMP. Ces deux là devancent le PS qui tangente la barre des 20%... par en-dessous.
Arriver en tête dans son propre pays est une chose mais constituer un groupe parlementaire au niveau européen en est une autre. Pour y parvenir, il faut réunir au moins 25 élus venant de sept Etats différents parmi les 28 qui constituent actuellement l'Union européenne. Pour ce qui concerne le nombre, le FN n'est pas mal placé puisqu'il pourrait remporter, à lui seul, une vingtaine de sièges. Reste à trouver suffisamment d'alliés.
Depuis des mois, Marine Le Pen se démène pour constituer un bloc d'au moins sept nations qui pourrait former l'ossature d'un groupe nationaliste euro-sceptique au sein de l'assemblée de Strasbourg. Un groupe politique et pas seulement un groupe technique. Un groupe qui, au sein du Parlement européen, aurait pour vocation de défaire l'Europe telle qu'elle a été édifiée depuis le lancement de la CEE à six en 1957.
Des partis tous classés à l'extrême droite
A l'heure actuelle, le FN peut compter sur l'appui du Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders aux Pays-Bas, du Parti de la liberté (FPÖ) de Heinz-Christian Strache en Autriche, du Vlaams Belang (parti séparatiste flamand) de Gerolf Annemans en Belgique, de la Ligue du nord de Matteo Salvini en Italie et du parti des Démocrates suédois de Jimmie Åkesson. Un autre partenaire potentiel du Front national est le parti Ordre et Justice de Rolandas Paksas en Lituanie.
Ces formations politiques, sans aucune exception, sont toutes classées à l'extrême droite de l'échiquier politique. Assez regardante sur l'usage de cette classification en ce qui concerne son parti, Marine Le Pen l'est assez peu quand il s'agit des partenaires avec lesquels elle envisage de faire alliance au Parlement européen. Car quelques uns d'entre eux sont ouvertement racistes, comme la Ligue du nord italienne dont certains dirigeants s'en sont pris à la ministre de l'intégration, d'origine congolaise. Un élue de la Ligue a même appelé à la "violer".
Ce délicat compagnonnage avec la Ligue du nord italienne a-t-il poussé Marine Le Pen à diversifier ses alliances de ce côté des Alpes ? Toujours est-il que le blog Droite(s) extrême(s) du Monde révélait, début avril, que la présidente du FN faisait des travaux d'approche en direction de Fratelli d'Italia-Alleanza Nazionale (FdI-AN) de Gianni Alemanno, un dirigeant qui cache à peine sa nostalgie néo-fasciste. Le Fdl-AN se trouve en symbiose avec les positions anti-européennes du Front national.
Quant à Geert Wilders, ses récentes déclarations racistes à l'encontre des Marocains ont suscité l'indignation en Hollande. Et jusqu'à la renonciation à son poste de son conseiller politique. Prudente, Marine Le Pen a indiqué qu'elle n'aurait "pas tenu ces propos" tout en considérant que "chacun est libre dans son pays de mener sa politique nationale" alors même que les propos en question ont provoqué des démissions en cascade au sein du PVV dont celle de Laurence Stassen, chef de file du parti à Strasbourg... et le dépôt de 5.000 plaintes contre Wilders aux Pays-Bas.
L'accord de Dupont-Aignan avec l'UKIP
La notoriété sulfureuse du FPÖ autrichien est attachée, là aussi, aux déclarations publiques de son leader historique, Jörg Haider, qui s'est tué dans un accident de voiture en 2008. L'homme montrait une certaine attirance pour les solutions économiques et sociales du Reich en même temps qu'il saluait la grandeur des Waffen-SS. Son successeur a mis ses pas dans les siens. Lors de la séance inaugurale du nouveau parlement national, fin 2013, les députés du FPÖ arboraient un bleuet à la boutonnière en référence, disaient-ils, à la révolution libérale autrichienne de 1848. Cette fleur était aussi portée par les députés pro-nazis quand le "pin's" de la croix gammée fut interdit en 1933.
La complexité des rapports avec le Vlaams Belang risque d'être d'une autre nature. Ce parti qui ne s'exprime qu'en flamand à l'exclusion de toute autre langue revendique la séparation de la Flandre d'avec la Belgique, pays qui, pour lui, est une "construction artificielle". Mais cette revendication autonomiste ne s'arrête pas aux frontières belges. Profondément francophobe, le Vlaams Belang a aussi des prétentions territoriales sur la partie française des Flandres... ce qui ne figure pas précisément dans le projet européen (ou jacobin hexagonal) du Front national.
Souhaitant se tenir éloigné de son homologue anglais - le BNP (British National Party) - qui a une représentation marginale outre-Manche, Marine Le Pen aurait probablement souhaité un rapprochement avec un autre parti nationaliste, l'UKIP (Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni). Mais son leader, Nigel Farage, lui a préféré depuis 2013 Nicolas Dupont-Aignan et son parti Debout la République. Dans un entretien à l'hebdomadaire très droitier Valeurs actuelles, à la même époque, le même Farage n'y allait pas par quatre chemins pour parler du Front national, "un parti composé entre autres d’antisémites et de racistes". Une accusation réitérée récemment dans la presse britannique.
Le choix de l'UKIP est d'autant plus dommageable pour le FN que ce parti est donné en tête dans les sondages sur les européennes, crédité de plus de 25% d'intentions de vote au Royaume-Uni. En tout cas, il n'a pas du tout été apprécié par Marine Le Pen qui s'est livrée, de façon à peine voilée, à une attaque de nature machiste contre l'entourage politique féminin de Dupont-Aignan. Lequel y a vu de "vieilles méthodes de l'extrême droite". Si l'alliance DLR-UKIP empêchait le Front national de constituer un groupe politique composé d'élus de sept nationalités différentes au Parlement européen, cela ne serait pas le moindre des paradoxes de ce scrutin.