Une semaine capitale s'ouvre pour Nathalie Kosciusko-Morizet. Celle où elle doit inverser la vapeur si elle veut devenir la première femme maire de Paris. A en croire tous les sondages d'intentions de vote publiés depuis une dizaine de mois, NKM est donnée systématiquement perdante au second tour face à la cheffe de file de la gauche, Anne Hidalgo. Certaines enquêtes l'ont placée en tête au premier tour, ce qui, on l'imagine aisément, est le premier objectif de l'ancienne ministre (UMP) de Nicolas Sarkozy. Même dans le 14e, l'arrondissement où se présente la cheffe de file de la droite parisienne, le défi s'annonce difficile à relever, selon deux sondages ciblés, face à Carine Petit (PS), dont on peut dire, sans lui faire injure, que sa notoriété est en devenir.
La dernière étude effectuée par l'institut CSA du 10 au 12 mars donne un point d'avance à Hidalgo sur NKM au premier tour - 38,5% contre 37,5% - sur l'ensemble des 20 arrondissements alors que la précédente vague (3 au 7 janvier) avait fait apparaître une situation inverse : 39% pour NKM et 38% pour Hidalgo. Ces indications d'intentions de vote sont inquiétantes pour l'ancienne maire de Longjumeau (Essonne) au regard du premier sondage de la série réalisée par cet institut... du 29 juin au 2 juillet 2013. A cette époque, la candidate UMP obtenait, seule, 32% des intentions mais à côté d'elle, Christian Saint-Etienne (UDI) recueillait 6% et Marielle de Sarnez (MoDem), 5%. Or, NKM a fondé sa stratégie sur une alliance de la droite et du centre - elle y est parvenue mais elle a donné naissance à des dissidences -, qui devait potentiellement créer une dynamique en sa faveur et la hisser au delà de 40%.
Force est de constater que l'opération, selon ces sondages toujours, n'a pas complètement atteint son objectif. Nathalie Kosciusko-Morizet enregistre un déficit de 4 ou 5 points par rapport au total théorique de la droite et du centre à Paris. Toutefois, en l'état des enquêtes, avec un total d'intentions de vote au second tour de 47%, selon l'Ifop, et de 47,5%, selon CSA, elle réaliserait un meilleur score que Nicolas Sarkozy au second tour de la présidentielle (44,4%). Ces chiffres montrent à quel point il est devenu difficile à une candidat de droite de s'imposer dans la capitale après les passages successifs de Jacques Chirac (premier maire de Paris sous la Ve République, de 1977 à 1995) et de Jean Tiberi jusqu'en 2001. Depuis qu'elle a été conquise par Bertrand Delanoë (PS), Paris n'a pas démenti son attachement à la gauche. L'évolution sociologique urbaine y est sans doute pour beaucoup.
Face à cette situation, la polytechnicienne qu'est aussi NKM a certainement fait une évaluation de ses chances d'obtenir un retournement de situation. Comme la présence de Sarkozy à son meeting du 10 février n'a pas fait bouger les lignes des sondages dans le bon sens, l'ancienne ministre va se donner une seconde chance de "nationaliser" sa campagne : François Fillon, qui fut donc son patron au gouvernement, assistera à l'ultime rassemblement parisien qu'elle organisera à quatre jours du premier tour programmé le 23 mars.
1 Créer une dynamique de premier tour
Le premier paramètre sur lequel NKM va tenter de jouer pour faire mentir les sondages, c'est la dynamique qui lui a fait défaut jusqu'à maintenant. En "nationalisant" le débat jusqu'à saturation, elle cherchera à faire rejaillir l'impopularité de l'exécutif sur la gauche parisienne. Plus que les thèmes qu'elle défend depuis plusieurs mois, cette thématique simple sera peut-être davantage de nature à mobiliser son électorat. Mais elle se heurte au fait que 7 électeurs sur 10 voteront d'abord en fonctions des "enjeux locaux", selon un sondage LH2 corroborant les mesures d'autres instituts. L'essentiel pour NKM, afin d'effacer le mauvais effet des données des sondages qui la donne perdante au second tour, est de virer en tête au premier. Selon l'expert d'un institut de la place, "il n'est pas exclu qu'elle soit en tête au soir du premier tour".
2 Jouer sur la combativité et l'autorité
Devancée par Hidalgo sur 7 des 9 traits d'image testés par CSA, il n'est plus temps pour NKM de les redresser mais, au contraire, de se battre sur les deux qui lui sont le plus favorables. Inutile pour elle de vouloir persuader l'électorat qu'elle est plus rassembleuse que son adversaire (19% contre 44%), qu'elle est plus sympathique (23% vs 43%), qu'elle est plus à l'écoute des Parisien-ne-s (22% vs 42%), qu'elle a un meilleur projet pour Paris (30% vs 39%), qu'elle mène la meilleure campagne (17% vs 38%), qu'elle a plus de qualités pour être maire (29% vs 38%) ou qu'elle est la plus compétente (28% vs 35%). En revanche, il serait préférable qu'elle exploite ses points forts. Ainsi, elle est jugée plus combative que la candidate socialiste (32% vs 25%) et manifestant plus d'autorité (36% vs 23%).
3 Miser sur de mauvais reports à gauche
Avec l'abstention (surtout à gauche) qui semble être une des bêtes noirs des sondeurs - en raison de son caractère assez largement imprévisible -, le report des voix à l'intérieur de la gauche au second tour est probablement un autre paramètre parmi les plus compliqués à appréhender dans cette consultation. Même s'ils prennent soin de bâtir leurs études en s'appuyant sur les déclarations de ceux qui se disent certain d'aller voter, les experts des instituts ne cachent pas que l'abstention est une donnée extrêmement fuyante. Comme la "sureté du choix". Si à droite et à l'extrême droite, elle est égale ou supérieure à 80%, selon CSA, il en va tout autrement de l'autre côté. Cette "sureté" est de 74% pour les électeurs qui votent PS-PCF-PRG, 65% pour ceux qui choisissent les listes EELV (écolo) et seulement 61% au PG de Mélenchon.
4 Faire basculer de gros arrondissements
Compte tenu de la démographie segmentée de la ville - les arrondissements centraux sont moins peuplés que les arrondissements périphériques dont une majorité est tenue par la gauche -, il faut que NKM recueille environ 53% des suffrages exprimés sur l'ensemble de la capitale pour avoir une chance d'être majoritaire en nombre d'élus envoyés au Conseil de Paris, ceux-là mêmes qui élisent le locataire de l'Hôtel de ville. Comme à Lyon et à Marseille, en raison du scrutin par arrondissement ou par secteur, une coalition politique peut-être majoritaire en voix mais minoritaire en nombre de conseillers qui désignent le maire de la ville. Un sondeur n'écarte pas que NKM puisse se trouver dans cette situation. En conséquence, elle doit faire basculer de gros arrondissements comme le 12e, le 14e (celui où elle se présente) ou bien le 18e. A eux trois, ils envoient 35 élus au Conseil de Paris qui en compte 163.
5 Espérer un bond report du Front national
En dehors des facteurs qui peuvent embarrasser l'adversaire - forte abstention de gauche et mauvais reports de voix -, NKM doit aussi bénéficier de paramètres positifs pour déjouer les sondages. A la bonne dynamique à droite au premier tour, elle doit aussi ajouter un report de voix exemplaire au second. Sur ce terrain, le problème de l'ancienne ministre est la faiblesse de ses réserves de suffrages, en raison de l'alliance large qu'elle a réalisé avant le premier tour. L'avantage, c'est qu'elle n'aura pas à rebâtir ses listes pour le 30 mars - ce qui lui fera gagner du temps -, contrairement à Hidalgo qui devra intégrer des candidats écolos, là où ils auront franchi la barre des 5%. Pour ce qui concerne le PG, les fusions ne sont pas envisagées. Idem pour NKM avec le Front national dont elle est une irréductible opposante. Toutefois, dans le secret de l'isoloir, elle bénéficiera d'un report des voix d'extrême droite. Sur 100 électeurs du FN au premier tour, estime l'Ifop, 52 se reporteraient sur la liste de droite, 8 sur celle de gauche et 40 préfèreraient l'abstention. La difficulté est d'améliorer ce report sans faire fuir l'électorat centriste. La quadrature du cercle !
Au final, Nathalie Kosciusko-Morizet doit impérativement cumuler ces 5 conditions pour faire mentir des sondages qui lui sont défavorables de façon tenace. Mais une élection n'est pas jouée tant qu'elle n'a pas eu lieu... jusqu'au second tour. Le précédent de la campagne Chirac en 1995 peut fournir un motif d'espoir à NKM... même si les sondeurs se montrent dubitatifs. Sans compter les dernières embûches qui parsèment son parcours. Déjà, en novembre 2013, le site Délits d'opinion s'était interrogé sur les chances pour la droite de reconquérir Paris : l'analyse ne débordait pas d'optimisme.