Un Français sur trois adhère "globalement" aux idées du Front national. Le taux est très exactement de 34%, selon un sondage TNS Sofres réalisé pour Le Monde, France Info et Canal+. Plus ou moins étoffée, cette enquête sur l'image de l'extrême droite est effectuée par cet institut, à intervalles irréguliers, depuis 30 ans.
Ce pourcentage d'adhésion en février 2014 est le plus élevé depuis le lancement de l'étude en novembre 1984. Deux pics à 32% avaient été atteints en octobre 1991 et en janvier 2013. Depuis un creux à 18% en janvier 2010, ce taux d'accord global avec les thèses du FN n'a pas cessé de croître.
Parallèlement, dit le même sondage, Marine Le Pen apparaît "volontaire" pour 81% des personnes interrogées, "capable de prendre des décisions" pour 68%, "capable de rassembler au-delà de son camp" pour 58% et "comprendre les problèmes quotidiens des Français" pour 56%. Ce sont probablement ces traits de caractère qui marquent une rupture avec son père et qui assurent son succès médiatique.
A contrario, ils ne sont que 40% à considérer que la présidente du FN "a de nouvelles idées pour résoudre les problèmes de la France". Le même pourcentage estime que la fille du fondateur du parti d'extrême droite est "sympathique et chaleureuse"; 37% d'entre eux trouvent qu'elle "inspire confiance".
Un Français sur sept exprime une adhésion "détaillée"
Si on poursuit plus avant dans l'enquête de TNS Sofres, on note que 43% des Français n'adhèrent "ni aux constats qu'elle exprime ni aux solutions qu'elle propose" et 35% de plus adhèrent aux constats... sans épouser les solutions.
A ce bloc hétérogène de 78% - mitigé sur l'état des lieux dressé par Marine Le Pen mais uni dans son refus des remèdes -, s'oppose un groupe minoritaire homogène de 14%, adhérent des constats et adepte de ses solutions. De l'adhésion "globale" d'un Français sur trois, on passe donc à une adhésion "détaillée" d'un Français sur sept, ce qui n'est pas tout à fait la même chose.
C'est justement quand on entre dans "le détail", si l'on peut dire s'agissant de ce mot lourd de sens dans la vulgate lepéniste, qu'on reste un peu interloqué sur la nature véritable des sentiments politiques des Français à l'égard du Front national. Il serait évidemment absurde de nier que ce parti s'est implanté dans le paysage et qu'il est en progression électorale comme vont probablement le confirmer les élections municipales de mars et les européennes de mai. Surtout si l'abstention, prévisible à gauche en réponse à la déception et aux interrogations, sort gagnante de ces consultations.
Tout se passe, en effet, comme si l'adhésion "globale" d'un tiers de l'électorat aux thèses du FN était le résultat d'un buzz d'image - celle de Marine Le Pen - avant d'être un accord ferme avec les solutions qu'elle préconise. C'est-à-dire que cette adhésion semble se faire sur des impressions et des bases floues avant d'être le résultat d'une analyse politique précise. D'autant que la progression des différents items, dans le temps, ne saute pas aux yeux.
La sortie de l'euro et la peine de mort ne sont pas plébiscitées
La démonstration est faite dans le sondage par les réponses "détaillées" que les personnes interrogées apportent sur chacun des thèmes, pris séparément, dont l'institut n'indique pas (apparemment) qu'il s'agit de thèses généralement véhiculées par l'extrême droite. La réponse la plus frappante concerne la sortie de l'euro et le rétablissement du franc : 29% sont pour alors qu'ils étaient 34%... en janvier 2011. Il s'agit là d'une mesure non seulement emblématique du FN mais aussi de celle qui sous-tend sa doctrine économique.
Il en va de même avec le rétablissement de la peine de mort. Marine Le Pen n'a jamais masqué sa préférence pour cette sanction tout en proposant de procéder par référendum pour son éventuel retour : une manière de s'en laver les mains. Là aussi, le rétablissement de la peine capitale est en recul dans l'opinion puisqu'il est passé de 45% d'avis favorables en mai 2000 à 32% en février 2014.
Qu'il s'agisse des "valeurs traditionnelles" défendues en France - non précisées dans l'enquête -, de la sévérité de la justice, des pouvoirs de la police ou du fait de se sentir chez soi en France, aucune de ces "opinions" ne fait apparaître, sur longue période, une montée massive de rejet, d'indignation ou de peur. Même si certaines d'entre elles mettent en évidence un fort niveau d'inquiétude des Français, voire une islamophobie rampante.
Et pour couronner le tout, un des thèmes phare du Front, la préférence nationale, ne fait pas autant recette que ses promoteurs auraient pu l'espérer. A l'affirmation "On doit donner la priorité à un Français sur un immigré en situation régulière" en matière d'emploi, 24% des sondés répondent par l'affirmative (72% par la négative). Ils étaient 45% contre 51% en septembre 1991. Cela tendrait à prouver que l'adhésion doit aussi s'examiner dans les détails... et qu'elle est porteuse de contradictions.