C'est peut dire que l'extrême droite et "la gauche de la gauche" laissent peu d'espace à l'expression politique et médiatique de l'extrême gauche. Pour être plus direct, l'omnipotence de Marine Le Pen, présidente du Front national (FN), et de Jean-Luc Mélenchon, co-président du Parti de gauche (PG), privent totalement d'oxygène les trotskistes de Lutte ouvrière (LO) et leurs camarades du Nouveau parti anticapitaliste (NPA).
A quelques semaines des élections municipales (23 et 30 mars), les deux principaux représentants de l'extrême gauche française annoncent la possible constitution de 200 listes pour LO et d'une centaine pour le NPA. En clair, il s'agit plus d'une présence de témoignage que la recherche d'un score électoral qui, de toute façon, sera marginal.
L'extrême gauche n'est pas passionnée par les consultations électorales qui, selon LO, "n'ont jamais transformé la société". Pire, l'organisation révolutionnaire estime que "derrière la façade du régime parlementaire se dresse la dictature des grandes entreprises capitalistes et de leurs nombreux serviteurs - hauts fonctionnaires non-élus, armée, police, prisons - qui constituent l’ossature de l’appareil d’État de la bourgeoisie". Au NPA aussi, on pense que "le mouvement social, la grève, la rue, sont des instruments déterminants du changement social".
La grève avant les urnes, la lutte sociale avant le bulletin de vote ! Tel est en bref la conception politique fondatrice de l'extrême gauche qui n'a toutefois pas toujours dédaigné se glisser dans les oripeaux de la bourgeoisie pour faire entendre sa voix... et aller à la pêche aux voix.
Philippe Poutou à la recherche d'un mandat local
Sur ce terrain, Lutte ouvrière a plusieurs longueur d'avance sur son concurrent du NPA. Elle le doit essentiellement à celle qui fut sa figure de proue, Arlette Laguiller, lors de six élections présidentielles de 1974 - elle était la première femme à se présenter à ce scrutin - à 2007. Elle réalisa ses meilleurs scores en 1995 (5,30% des suffrages exprimés) et en 2002 (5,72%). Le pire fut décroché en 2007 avec 1,33%.
Dans la maison d'en face, on a commencé avec la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) d'Alain Krivine, candidat aux présidentielles de 1969 (1,06%) et de 1974 (0,37%), puis d'Olivier Besancenot - 4,25% en 2002 et 4,08% en 2007 - pour aboutir, après ce scrutin, à la création d'un nouveau parti de gauche radicale sur "une base politique claire", le Nouveau parti anticapitaliste. Refusant de replonger une troisième fois, Besancenot est remplacé par Philippe Poutou à la présidentielle de 2012. Celui-ci obtient 1,15% des voix contre 0,44% à Nathalie Arthaud, nouvelle candidate de LO.
Conseillère municipale à Vaulx-en-Velin (Rhône) - Arthaud a été élue, dès le premier tour, en 2008, sur la liste du maire sortant, Maurice Charrier (PCF), qui a cédé sa place à son premier-adjoint, l'année suivante -, la porte-parole de LO ne sera, en mars, ni candidate, ni à la tête d'une liste d'extrême gauche aux municipales. En revanche, elle conduira la liste de Lutte ouvrière en Ile-de-France aux européennes du 25 mai.
Ne disposant d'aucun mandat politique - il est responsable syndical (CGT) à l'usine Ford de Blanquefort (Gironde) -, Poutou, lui, se démène pour conduire une "liste anticapitaliste" à Bordeaux où il espère, sans trop y croire probablement, décrocher "un ou deux élus", en passant la barre des 5% si la liste Juppé l'emporte au premier tour. En 2008, il figurait sur la liste trotskiste "100% à gauche" qui avait obtenu 3,05% des voix.
Les tactiques électorales variées de Lutte ouvrière
"Nous avons eu, au cours de notre histoire, des attitudes variées en matière de tactique électorale", écrivait la direction de LO dans sa revue théorique "Lutte de classe" à la fin de l'année 2013. De fait, après une période de relative ouverture qui l'avait conduite à des alliances à gauche en 2008, l'organisation a maintenant choisi un repli qui est encore plus marqué que celui préconisé par le PG de Mélenchon.
"Nous présenterons partout des listes Lutte ouvrière sans participer à aucune liste dite d’union", précisait "Lutte de classe". Partout ? Le terme est peut-être un peu excessif. En 2008, LO avait présenté 118 listes autonomes (dont 14 arrondissements de Paris) et 70 listes d'union avec les partis de gauche . En mars, l'organisation vise 200 listes totalement autonomes qui défendront une "opposition ouvrière au gouvernement" avec une présence dans les "arrondissements populaires" de la capitale.
La ligne de Lutte ouvrière est de "ne pas voir [sa] voix troublée par des alliances". En conséquences, ses militants ne figureront pas sur des listes du Front de gauche, du Parti de gauche ou du NPA. Et encore moins du PS. Elle ne fera pas d'appel au vote au second tour. A Saint-Chamond (Loire), par exemple, André Moulin, adjoint (LO) au maire socialiste - ce qui ne doit pas courir les rues - et élu sur sa liste en 2008, conduira une liste exclusivement révolutionnaire ! A Saint-Etienne, LO présentera aussi une liste 100% autonome face à celle du PS soutenue par le PCF et celle du PG.
Une configuration politique qui n'est guère favorable
Pour sa part, le NPA a des ambitions plus modestes. Les camarades de Besancenot et Poutou comptent présenter 35 "listes unitaires", avec le Parti de gauche, des Alternatifs ou des communistes dissidents. Ils partiront seuls sur une quinzaine de listes, faute d'avoir réalisé un accord avec les mélenchonistes qui leur ont préféré les écolos d'EELV. Enfin, une trentaine d'autres listes seraient en cours de constitution. L'organisation trotskiste devrait être présente dans 7 arrondissements parisiens (3e, 10e, 11e, 13e, 18e, 19e et 20e).
Le Nouveau parti anticapitaliste, qui revendique une quinzaine d'élus locaux en France, sera notamment présent à Chambéry (Savoie), dans la banlieue bordelaise, à Sotteville-lès-Rouen (Seine-maritime), à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), Louviers avec le PCF (Eure) et à Gérardmer (Vosges) où Eric Defranould, conseiller municipal élu sur la liste du maire sortant socialiste en 2008, conduira une liste NPA en mars.
Le NPA, qui dit avoir contacté LO pour envisager des listes communes, affirme ne pas avoir eu de réponse de l'organisation rivale. En revanche, il a noué des contacts avec certaines des composantes du Front de gauche et, notamment, "Ensemble" qui regroupe plusieurs branches de cette nébuleuse.
Les organisations d'extrême gauche ne semblent pas attendre de miracles de ces municipales. Depuis le début de la décennies, il est vrai, la configuration politique ne lui est pas très favorable. Sur le plan électoral, l'extrême droite fait des ravages dans le monde ouvrier, sur le plan tribunicien, Mélenchon occupe tout l'espace médiatique et sur le plan social, la crise fait office d'éteignoir sur les mouvements sociaux. Une conjonction qui les condamne, sans doute, à surtout faire de la figuration.