Marine Le Pen menace de poursuivre devant les tribunaux quiconque soutiendra que le Front national est d'extrême droite. En l'occurrence, ce sont les journalistes qui sont d'abord visés. Et par la même leur autonomie d'analyse et de jugement. En soi, cette intimidation - il faut appeler un chat un chat - donne déjà une indication sur sa conception de la liberté de la presse.
Avant elle, son père - il dirigea ce parti pendant 40 ans, de 1972 (année de sa fondation) à 2011 (année où sa fille lui succéda), et il en est aujourd'hui le président d'honneur [titre qu'il a perdu au 16e congrès du parti en mars 2018] -, avait déjà récusé l'étiquette d'extrême droite, dans les années 1990. Comme elle, il avait menacé la presse. Et l'avait poursuivie. En vain. La justice avait estimé qu'il tentait de "censurer le vocabulaire du journaliste".
Portée par les sondages qui reflètent une popularité ou une cote d'avenir en hausse, la présidente du Front national tente de pousser son avantage dans la voie de ce qui est communément appelé la "dédiabolisation". Certes, des qualificatifs élogieux accompagnent cette progression mais une majorité de Français, selon un sondage BVA, la classe quand même à l'extrême droite de l'échiquier.
La revendication sémantique de Marine Le Pen présente un avantage : elle conduit à se plonger dans l'univers de la droite française, au sens très large, en partant de la droite parlementaire et de gouvernement pour aller jusqu'aux groupuscules d'ultra-droite, parfois violents et anti-républicains. La palette est donc variée et recèle, bien sûr, une part de subjectivité liée à la science politique.
L'UMP constitue le socle historique de la droite</p#>
Sans contestation possible, la droite est principalement représentée par le premier parti d'opposition actuel : l'UMP. Historiquement, l'Union pour un mouvement populaire regroupe deux courants de la droite, les orléanistes qui sont les libéraux de feu l'UDF et les bonapartistes qui se rattachent au gaullisme ou au néo-gaullisme dont le dernier avatar fut le RPR.
Le positionnement des centristes est plus délicat à opérer dans la mesure où il existe un centre-gauche dont le porte-drapeau a été Bayrou lors de l'élection présidentielle de 2012 et un centre-droit qui a Borloo pour héraut. Le premier avait pris position pour Hollande et le second pour Sarkozy. Ce partage tendrait à prouver qu'il n'y a pas - pour le moment ? - de centre indépendant.
Libéraux, gaullistes, centristes, tous ont gouverné, ensemble ou séparément, depuis la fondation de la Ve République. La plupart du temps sous l'autorité de présidents de la République de droite. A de rares exceptions, des centristes ont été associés à des gouvernements de gauche, comme ce fut le cas sous Mitterrand. Le pendant a aussi existé à gauche avec Sarkozy.
A droite de la droite, on peut classer Debout la République (DLR), le petit parti de Dupont-Aignan qui tient un congrès, samedi 5 octobre, à Paris. Maire, député, candidat à la dernière présidentielle, il a quitté l'UMP en 2007 sur les bases d'un gaullisme inaltéré. Critique à l'égard de l'UMP qu'il accuse de traîtrise, Dupont-Aignan défend un nationalisme qui récuse celui du Front national.
Les origines du Front national sont sans ambiguïtés</p#>
Coincé entre l'UMP et le FN, la marge de manoeuvre politique du patron de DLR est extrêmement étroite. Les dernières déclarations de ce dirigeant souverainiste sur i-télé résument la complexité de son positionnement : s'il considère que "Marine Le Pen n'a pas des propos d'extrême droite", il n'en ajoute pas moins que le Front national, lui, "reste d'extrême droite". Comprenne qui pourra !
Plus loin sur ce spectre, on trouve justement le parti lepéniste. Toujours enclin à rechercher les origines des individus qui lui déplaisent, le Front national prétend donc encadrer, voire interdire, l'examen des siennes par les observateurs, si on décrypte bien les menaces de sa présidente. Or, il se trouve justement que ses origines sont sans ambiguïtés.
Parmi les fondateurs de 1972 d'ex-responsables de partis de la Collaboration côtoient d'anciens de la LVF (Légion des volontaires français), de la milice ou de la Waffen-SS et des néo-fascistes de groupuscules extrémistes. Ils font bon ménage avec quelques anciens Résistants que la guerre d'Algérie a fait basculer dans un anti-gaullisme qui, pour certains, s'est prolongé jusque dans les rangs de l'OAS (Organisation de l'armée secrète qui regroupait des activistes partisans de l'Algérie française).
A cette aune, il est difficile de considérer que le Front national ne puise pas ses racines politiques à l'extrême droite de l'échiquier politique malgré la dénégation de Marine Le Pen sur Twitter et sur RTL. En conservant le poste de président d'honneur à Le Pen père dont elle connait parfaitement le poids, voire l'influence, dans son parti, sa fille ne témoigne pas d'une rupture franche et définitive avec ce passé fondateur.
Au-delà, aux confins minoritaires de l'échiquier politique</p#>
A ce pan historique s'en ajoute un autre qui perdure depuis plusieurs décennies. Il se trouve que le Front national n'a jamais été appelé, sur le plan national, dans les coalitions qui ont réuni les partis de droite et du centre à l'Assemblée ou au gouvernement. Comme s'ils avaient voulu établir un cordon sanitaire. Et pour cause puisque l'objectif ultime des Le Pen, père et fille, est de faire exploser la droite parlementaire pour en récupérer des morceaux.
C'est la raison pour laquelle Marine Le Pen s'est lancée dans la constitution de sa propre coalition-maison à travers le Rassemblement Bleu Marine (RBM). Il s'agit là d'une tactique universelle utilisée par les partis qui cherchent à s'extraire de leur isolement. Cette démarche, pour le moment, peine à être payante car le RBM aurait moins de 1.000 adhérents.
Enfin, aux confins de l'extrême droite, on trouve l'ultra-droite. Extrêmement minoritaire, parfois adepte de méthodes musclées, peu encline à se réclamer de la République, elle revendique, plus ou moins ouvertement, son antisémitisme et/ou son homophobie, en se réfugiant derrière le principe de "liberté d'expression". Elle hésite entre son maintien dans la marginalité et son intégration à l'extrême droite.
Marginale mais active en France, cette ultra-droite trouve des ramifications en Europe dont la plus visible est le parti néo-nazi Aube dorée, en Grèce, dont le principal dirigeant, Nikos Mihaloliakis, est incarcéré et poursuivi par la justice pour "participation à une organisation criminelle". Sous sa forme terroriste, le tueur norvégien Anders Breivik, auteur d'un assassinat de masse (77 morts), en est une incarnation.