Lentement mais sûrement, comme un train de sénateur, une synthèse s'amorce entre les familles centristes dans la perspective des élections européennes. Brouillés sur l'analyse du sarkozysme, Borloo et Bayrou pourraient se retrouver côte à côte en 2014.
Frère ennemis du centrisme national - l'un a soutenu le président sortant en 2012, l'autre a voté pour Hollande au second tour - et champions des querelles d'égo, le président du Parti radical et celui du Modem viennent de réussir à se parler. Et même à déjeuner ensemble.
A la tête des députés UDI (Union des démocrates et indépendants), Borloo fait partie de l'opposition et ses votes se joignent à ceux de l'UMP. Absent lui-même de l'Assemblée nationale, Bayrou a deux disciples dans l'hémicycle - l'un siège chez les Radicaux de gauche, l'autre chez les non-inscrits - qui pèsent peu.
Cette séparation, qui affaiblit le centre sur le plan hexagonal et le rend plutôt inaudible politiquement, n'a pas vraiment de justification au niveau supra-national tant l'Europe fait partie de l'ADN du centrisme démocrate-chrétien dont les pères fondateurs sont issus.
La carte des Européens consubstantiels
Entre les extrêmes, toujours en pointe aux élections européennes, et les partis de gouvernement - menacé par l'impopularité pour le PS et travaillé par le souverainisme pour l'UMP -, Borloo et Bayrou se disent sûrement qu'il y a une carte à jouer pour les Européens consubstantiels.
Encore faut-il qu'ils arrivent unis au moment de la consultation ! L'exercice est d'autant moins compliqué à réaliser qu'il réunit deux avantages : le projet permet d'éviter les bisbilles et les écueils nationaux, les chefs de file sont multiples en raison du vote par grandes régions (scrutin de liste à la représentation proportionnelle à un tour dans 8 circonscriptions inter-régionales).
A la faveur des élections européennes, Bayrou (63 ans, le 25 mai 2014) pourrait ainsi retrouver un mandat électif, en conduisant une liste des centres regroupés dans le grand sud-ouest. Chef de file chez lui, il pourrait ainsi cohabiter avec les 7 autres têtes de listes régionales... sans leur faire d'ombre. Et vice versa !
Si cette première étape ne paraît pas inatteignable, malgré les crispations et les "conditions irréductibles" de début de négociation perceptibles ici où là, marquerait-elle, pour autant, le début d'un processus plus ambitieux pour le centre hexagonal.
Une famille phagocytée par le sarkozysme
Avec la disparition des écrans radar de l'UDF (Union pour la démocratie française), continuatrice démocrate-chrétienne de la branche orléaniste (libérale), selon le découpage de la droite française fait par le politologue René Rémond (1918-2007), une place est à prendre entre la droite césarienne modèle UMP et la droite extrême contre-révolutionnaire type Front national.
Face à l'UMP, le PS et le FN, Borloo et Bayrou ont un intérêt commun à faire renaître cette quatrième famille politique qui avait été phagocytée par le sarkozysme triomphant de la fin de la décennie 2000. Les données ont radicalement changé, ce qui explique les premiers pas timides du retour centriste.
Il va sans dire que le chemin est encore long avant une transformation nationale de l'hypothétique essai européen centriste, pour reprendre une métaphore rugbistique. D'autant que la création d'un centre manifestant des velléités d'indépendance ne laisserait indifférent ni l'UMP... ni le PS.
Le principal parti de l'opposition y verrait un coup de canif dans la traditionnelle alliance entre une droite hégémonique et un centre-force d'appoint tandis que l'actuel parti dominant de la majorité ne trouverait que des avantages à la renaissance d'un tel pôle politique... C'est peu de dire que l'avenir est incertain.