Le gouvernement a donc tranché : il s'oppose à l'amnistie sociale, version Front de gauche. En première lecture, la ministre de la justice, Christiane Taubira, parcimonieuse dans son soutien, s'en était remise à "la sagesse" des sénateurs. La proposition de loi avait été adoptée de justesse par 174 voix contre 171, le 27 février.
Sous la pression de Mélenchon et de la gauche de la gauche, le texte - après l'adoption d'amendements restrictifs déposés par les socialistes -, avait recueilli les voix des groupes PS, CRC (communiste), EELV (écolos) et RDSE (radicaux de gauche en majorité), l'UMP et les centristes s'y opposant à la chambre haute du Parlement.
L'amnistie concernait les infractions commises entre le 1er janvier 2007 et le 1er février 2013, passibles de 5 ans d'emprisonnement au plus, les faits commis à l'occasion de conflits du travail, le refus de se soumettre à des prélèvements ADN (sous certaines conditions) et... les mineurs condamnés lors des grèves de 1948 et de 1952.
Hollande contre l'amnistie, dès la campagne présidentielle,
Cette adoption avait été saluée par le patron du PCF, Pierre Laurent, qui y voyait "un acte de justice, de réparation" mais le coprésident du Parti de gauche y avait consacré un long billet sur son blog pour dénoncer "une loi rabougrie, à trop faible portée pratique et pleine d'arbitraire".
Mais tout cela est à ranger au magasin des accessoires car l'exécutif a changé son fusil d'épaule. Ou plutôt il a fini, via le ministre des relations avec le Parlement, Alain Vidalies, par exprimer clairement, mercredi 24 avril, ce qui se lisait entre les lignes : son hostilité absolue à cette amnistie.
Pendant la campagne présidentielle, Hollande - comme Sarkozy - s'était prononcé contre toute forme d'amnistie - l'opinion pensait surtout alors aux PV ! - et après le vote du projet de loi au Sénat, le ministre de l'intérieur, Valls, s'était montré "sceptique sur le principe de l'amnistie" lui préférant les vertus du "dialogue social" préventif.
Le texte envoyé aux oubliettes de l'Assemblée nationale
Représentant de l'aile gauche du PS au gouvernement, Hamon, au contraire, avait décelé "un message de paix, de dialogue" dans cette adoption sénatoriale. Si la cheffe de file des ministres écolos, Duflot, n'avait pas fait part publiquement de sa satisfaction, en revanche, Europe écologie-Les Verts (EELV) avait, dès le départ, apporté un soutien sans ambiguité au texte initial du Front de gauche.
Résultat de ce virage à 180° du gouvernement, la commission des lois de l'Assemblée nationale a rejeté les uns après les autres, mercredi, tous les articles du texte adopté au Sénat, l'envoyant par la même aux oubliettes. Seuls les députés Marc Dolez (Front de gauche), Sergio Coronado (écolo) et patrick Menucci (PS) lui ont manifesté leur soutien.
Si Hollande a imposé sa vision, c'est pour envoyer un message à multiple détentes : d'une pierre, il fait trois coups. Il s'adresse en même temps à la droite et au Medef, à Mélenchon et au Front de gauche, à l'aile gauche du parti dont il est issu, le PS, dont l'un des animateurs les plus en vue est l'ancien inspecteur du travail, Gérard Filoche.
Le président met en garde, rassure et morigène en creux
A la droite, il conseille de ne pas s'engager sur la voie de l'agitation de rue car les débordements initiés par les groupuscules d'extrême droite risquent de se retourner contre elle. Et si des violences commises à l'occasion de conflits sociaux ne font l'objet d'aucune amnistie, il en ira de même pour les violences politiques. Il ne peut y avoir deux poids, deux mesures.
Au Medef, Hollande expédie un message d'apaisement alors que les chefs d'entreprise, entrepreneurs et petits patrons, sont très remontés contre le gouvernement. Le faire au moment où le patronat se cherche une nouvelle tête pour remplacer Parisot n'est pas tout à fait innocent.
Avec Mélenchon, le chef de l'Etat consacre, s'il en était encore besoin, une rupture franche. La "lune de miel", si l'on ose dire, n'a duré que l'espace d'un dimanche, le 6 mai 2012, quand les électeurs de l'ancien sénateur socialiste se sont massivement reportés sur l'ancien premier secrétaire du PS, au second tour de la présidentielle.
Depuis 9 mois, le coprésident du Front de gauche mène une guérilla contre le président de la République dont le prochain point d'orgue sera une manifestation parisienne, le 5 mai, pour réclamer l'instauration d'une VIe République. Il y a fort à parier que Mélenchon dira, à sa manière, combien il a reçu 5 sur 5 le message du refus de l'amnistie.
Enfin, à l'aile du gauche du PS, le chef de l'Etat fait entendre que c'est lui le patron : il l'a morigène en creux. Une manière de reprendre en main un parti dont le premier secrétaire, Harlem Désir, apparaît évanescent à nombre de responsables socialistes. Accessoirement, le message s'adresse aussi aux ministres tentés de ruer dans les brancards. Hamon ne sera probablement pas le dernier à l'entendre.