"Mariage pour tous" : la droite ne peut, sans risque pour elle, faire le pari du désordre

François Fillon et Jean-François Copé, le 27 septembre 2012 à Marcq-en-Barœul (Nord). (ALAIN ROBERT / SIPA)

On peut aisément imaginer que les stratèges de la droite cogitent avec ardeur sur "l'après" ! L'après, c'est la séquence qui suivra le vote définitif du projet de loi sur "le mariage pour tous", bien sûr. Sauf improbable coup de théâtre, celui devrait intervenir en début de semaine prochaine, à l'Assemblée nationale.

A la veille de la reprise de la discussion du texte par les députés, mercredi 17 avril, les opposants, réunis dans le collectif de "la manif pour tous", devaient rencontrer le ministre de l'intérieur, dans l'après-midi de mardi, pour fixer les modalités d'une nouvelle démonstration parisienne, probablement dimanche 21 avril.

Deux options s'offrent à l'opposition parlementaire : soit elle s'engage plus avant dans le chemin d'une contestation brutale sur lequel des intégristes catholiques et des groupes extrémistes veulent l'entrainer depuis une quinzaine de jours, soit elle revient sur celui d'une contestation républicaine qui reconnaît, de facto, le fait politique majoritaire.

L'opposition factice entre "le pays réel" et "le pays légal"

Sans l'exprimer ouvertement, une partie des plus radicaux à droite accompagne les différentes chapelles de l'extrême droite sur la thématique tendant à opposer - de façon factice - "le pays réel", cher au théoricien de l'Action française, Charles Maurras (1868-1952), au "pays légal" issu des urnes après plusieurs votes démocratiques. En clair, consciemment ou pas, ils remettent en cause la République.

Hors enceinte du Parlement, la figure emblématique de cette dérive anti-républicaine est Frigide Barjot. L'ex-humoriste du groupe Jalons - il comprenait également Basile de Koch, son mari, et Karl Zéro, son beau-frère, aujourd'hui en opposition l'un avec l'autre -, est devenue l'égérie de la droite, mais une égérie qui semble dépassée par la mécanique qu'elle a initiée.

Les manifestations contre le mariage homosexuel, qui se voulaient pacifiques, ont petit à petit dégénéré car attisées par des groupuscules adeptes de l'action de rue. L'émergence de cette violence a trouvé son prolongement logique dans le harcèlement d'élus favorable au projet - François de Rugy, coprésident du groupe écolo de l'Assemblée, ou Chantal Jouanno, sénatrice centriste - et de ministres en déplacement privé - Taubira ou Valls - ou dans les menaces contre des intellectuels.

Figure de l'ordre, la droite est dans une situation paradoxale

Le moment est donc venu, pour la droite, de choisir. Des voix commencent à s'élever de ses rangs pour appeler à "arrêter les frais"... tout en maintenant la pression sur le gouvernement accusé de s'entêter face à un courant d'opinion hostile au mariage homo. L'exercice d'équilibre pour tenir les deux bouts de la chaine n'est pas simple.

Du côté des jusqu'aux boutistes, on trouve Guaino. L'ancien conseiller spécial de Sarkozy cité par le journal gratuit "20 Minutes" déclare : "On ne va quand même pas baisser les bras par peur de quelques extrémistes!" Les partisans de Copé, eux, se défendent de vouloir "déstabiliser" la République. Mais ceux de Fillon préfèreraient lever le pied.

Dans les rangs des partisans de l'apaisement, le député (UMP) Franck Riester, très isolé dans son soutien au projet de loi, tente de ramener le débat à de justes proportions dans un entretien au Monde, en notant que le projet donne des droits nouveaux sans en ôter à personne et en appelant l'opposition à admettre le fait majoritaire au Parlement.

La droite se trouve, aujourd'hui, dans une situation paradoxale. Figure de l'ordre - sous toutes ses formes - sur l'échiquier, dans l'histoire politique nationale et dans l'imaginaire collectif des Français -, elle s'est embarquée, de façon minoritaire, ou a été embarquée, pour le gros des troupes, dans une spirale du désordre. Elle n'est donc pas dans son élément naturel.

L'extrême droite réclamera son dû à la fin de la partie

Quelques précédents historiques montre que l'opinion, majoritairement, n'aime pas trop le désordre généralisé. Et qu'elle peut le faire savoir sèchement aux fauteurs de troubles ou à ceux qu'elle estime responsables d'actes irréfléchis contre les institutions ou contre l'équilibre de la société.

La droite ne peut ignorer que le développement du désordre, voire de la violence, peut provoquer des débordements incontrôlés et incontrôlables par leurs initiateurs. Et qu'il peut même aboutir à des dérapages pouvant avoir un caractère dramatique dans le cycle contestation-répression.

Si la situation est compliquée pour la droite, elle ne l'est pas moins pour le gouvernement et, particulièrement, pour son ministre de l'intérieur. Valls, qui a pour mission de faire régner l'ordre républicain, comme il l'a rappelé devant les députés, mardi, sait que se sont souvent des jeunes qui font face aux policiers, le soir, dans les rues qui jouxtent le palais Bourbon.

Dans cette configuration délicate, la droite aurait tort de croire que l'extrême droite va tirer les marrons du feu, sans réclamer son dû à la fin de la partie.

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu